Forte de plus de 20 ans d’expérience dans le domaine du numérique, Baccana Digital Consulting est une agence basée à Monaco, spécialisée dans la conception de sites web ecommerce, le SEO, et le marketing digital. Baccana propose une gamme complète de services de transformation digitale, incluant le développement sur mesure, le Web3, le cloud sécurisé, et la réalité virtuelle. Avec une approche collaborative et personnalisée, Baccana Monaco accompagne ses clients issus de secteurs très divers, du yachting au tourisme, et du médical au consulting, en local comme à l’international. Leur partenariat avec Monaco Cloud leur permet également d’offrir des solutions de stockage souveraines et sécurisées, notamment pour les données sensibles​ telles que les données de santé.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours professionnel et l’histoire de Baccana Monaco ?

J’ai vécu plusieurs vies professionnelles, l’IT me poussant constamment à me remettre en question. Je m’y suis plongé dès la fin des années 90. C’est un domaine qui change tout le temps — pas vraiment de quoi s’ennuyer. Nous venons de San Francisco, où nous avions créé un logiciel en tant que service (SaaS). On a connu les belles années à la fin des années 90, la bulle de 2000, le début des réseaux sociaux… On l’a vécu !

J’ai participé à l’aventure SEO SAMBA, initialement un logiciel pour le SEO, mais qui a ensuite été adopté par des réseaux de franchises. Il existe toujours, mais je me suis installé à Monaco depuis dix ans. La société est aujourd’hui gérée par une équipe basée aux États-Unis, tandis que moi, j’ai décidé de revenir à Monaco. Ayant beaucoup voyagé, Monaco s’est imposé comme un choix naturel avec la même ouverture cosmopolite que j’aimais aux États-Unis, au Brésil ou en Angleterre. C’est ainsi qu’est née Baccana, il y a une dizaine d’années.

Nous restons dans l’IT, accompagnant nos clients dans leur transformation digitale, à Monaco, mais aussi à l’étranger, aux États-Unis, en Europe et en Asie, dans des secteurs variés. Nous touchons aux progiciels, aux sites e-commerce, aux applications et à la réalité virtuelle. Baccana est composée de six personnes à Monaco, et nous avons également conservé nos bureaux en Europe de l’Est malgré la situation géopolitique, ainsi qu’un petit bureau à Chandigarh, en Inde, avec six collaborateurs. Je travaille aussi en tant que consultant pour des entreprises, principalement en Inde, pour les aider à comprendre le marché occidental. L’Inde et l’Occident se perçoivent souvent comme deux mondes totalement différents, ce qui est plutôt réel des deux côtés. Mon rôle consiste à créer un pont, conseillant des sociétés dans l’IT, l’Edtech et l’ingénierie ferroviaire.

Quel aspect unique de votre secteur vous a poussé à intégrer l’IA et comment cela a-t-il transformé vos opérations ?

Nous sommes dans l’IT, le Web, la VR… Il est important de rappeler que nous évoluons dans un secteur industriel qui n’existait pas il y a 30 ans. C’est étonnant de le dire aujourd’hui, mais c’est une réalité. Joel Blesson et David Culot mes collaborateurs et amis, ont commencé avant moi, dans les années 90. Nous avons vécu de nombreuses évolutions et des révolutions mais aussi des désillusions. Des technologies en qui tout le monde croyait ont disparu du jour au lendemain. Pour rester compétitif, il faut faire preuve de curiosité et tester constamment.

En ce qui concerne l’IA, nous avons lancé un premier essai en 2018-2019, mais qui s’est terminé par un échec. Avec le recul, l’erreur que nous avions commise à l’époque, c’est d’avoir pris l’IA pour une solution clé en main, alors que c’est plutôt un outil. Nous l’avions utilisée pour de la curation de contenu destinée aux réseaux sociaux, basée sur des paramètres liés au luxe et à la montagne. Le problème, c’est que la segmentation a rapidement dérapé, générant des associations inappropriées comme « psychiatrie à la montagne », ce qui n’a pas été bien perçu par nos clients. Nous avons donc mis ce projet en pause, faute de granularité suffisante.

C’est avec l’arrivée de ChatGPT 4 que nous avons relancé nos tests, en intégrant cette fois l’IA comme outil et non comme solution complète. Rapidement, nous avons constaté des gains de temps considérables, en particulier sur la création de contenu ciblé. L’adoption s’est révélée rapide, tant pour nous que pour l’ensemble du marché. L’IA ne fait pas mieux le travail que nous, mais elle permet de produire un premier jet exploitable quasiment instantanément.

Le temps gagné c’est le moteur de l’utilisation de l’IA chez Baccana. Elle est désormais un outil comme un autre, à côté de Photoshop, des CMS, d’Office 360, ou des langages de code que nous utilisons. Nous l’avons aussi déployée pour la validation de code, non pas pour coder à notre place, mais pour tester et vérifier. Parfois, face à un bug, il suffit de passer le code à l’IA pour obtenir la solution.

Avant d’adopter l’IA, il est essentiel de définir les segments sur lesquels nous en avons besoin, puis de tester les différents outils disponibles, en comparant les solutions gratuites et payantes.

Comment gérez-vous la question du stockage des données ?

Le principal défi est lié au Patriot Act et au Cloud Act américains : toute technologie ou service américain implique une potentielle accessibilité de nos données par le gouvernement américain. À Monaco, nous avons Monaco Cloud, une solution de stockage locale adaptée pour les données sensibles, notamment dans le secteur médical. Je recommande d’ailleurs la lecture du livre de Frédéric Pierucci, « Le Piège américain », qui raconte son expérience d’ancien dirigeant de l’entreprise française Alstom. Je l’ai rencontré pendant la présentation du Monaco Cloud.

L’IA permet de gagner du temps, mais consomme beaucoup de ressources serveur, notamment en GPUs. C’est un problème à Monaco, où ces ressources déjà en nombre insuffisant sont majoritairement utilisées par le gouvernement, laissant peu de place pour l’IA pour l’instant. En l’absence de GPUs locaux suffisants, il reste les solutions américaines (AWS, Azure, Google), mais on retombe sous le coup du Patriot Act. Il faut être prudent, mais cela dépend bien sûr des données traitées. Dans notre cas nous l’utilisons en tant qu’outil, et nous n’avons pas de stockage de données sensibles. C’est au niveau B2B, par contre, que la question peut se poser.

Quelles zones d’application de l’IA avez-vous explorées ?

Nous l’utilisons pour tout ce qui concerne le contenu écrit : référencement, création de contenu ciblé pour le SEO, en nous appuyant sur ChatGPT 4.o. Pour l’image et le média, nous utilisons Midjourney, Adobe Fireflies, ou encore DALL-E. Dans le domaine de la réalité virtuelle, l’IA prend de plus en plus de place.

Pour les voix, l’IA nous fait gagner énormément de temps. Personnellement, je fais parfois les voix françaises pour des réalisations avec des partenaires en Irlande. Grâce à ElevenLabs, il est possible de conserver ma voix, mais de la faire parler parfaitement grec ou arabe, par exemple. C’est bluffant, et toujours validé par des natifs. C’est un outil formidable, mais qui doit rester sous contrôle humain.

Nous utilisons aussi des IA spécialisées pour rationaliser des projets de « scraping », à savoir récupérer d’immenses quantités de données sur le web et les transformer en bases de données optimisées pour les exploiter plus efficacement. De même, nous utilisons une autre IA pour créer des comptes rendus et plans d’action directement depuis les vidéos de meetings en distanciel.

Ce sont dans ces domaines particulièrement chronophages que l’IA a le plus d’impact sur l’efficacité de notre travail au quotidien.

Comment avez-vous surmonté les défis culturels et humains lors de l’intégration de l’IA ?

Après 30 ans dans l’IT, nous avons l’habitude d’être agiles et ouverts d’esprit. Dans notre équipe, il y a un mélange de générations, avec des quinquagénaires de la génération X, et des membres de la génération Z dans la vingtaine. Le lien entre nous s’est fait naturellement, car les « anciens » que nous sommes nous inscrivons vraiment dans une logique de transmission. Mon fils aîné travaille avec nous, tout comme mes amis David et Joël. Les jeunes n’ont pas hésité à s’approprier l’IA, écoutant des podcasts , et en faisant profiter nos clients, nos partenaires et nous, les « anciens ».

Il n’y a pas eu de défi particulier, la transition a été rapide et organique. En revanche, du côté des clients, partenaires, et confrères, la question éthique a souvent été soulevée : l’IA risque-t-elle de détruire des emplois ? La réalité, c’est qu’elle remplace certains métiers, comme dans le cas des voix pour nos projets de VR. Cependant, c’est l’histoire de l’humanité : les métiers évoluent. Avant l’eau courante, il y avait les puisatiers ; avant l’électricité, il y avait les allumeurs de réverbères. Avec l’IA, de nouvelles opportunités et de nouveaux métiers émergent. En juillet, j’ai voyagé à Hyderabad, en Inde, et j’ai visité T-Hub, le plus grand incubateur au monde, avec entre 450 et 650 startups incubées en permanence, dont 25 % dans le domaine de l’IA.

Il faut voir l’IA comme une évolution plutôt qu’une révolution abrupte. La disparition des anciens métiers est progressive, laissant la place à aux innovations.

Avez-vous remarqué des changements positifs dans l’équipe, ou même chez vos clients ?

L’introduction de l’IA a vraiment créé un engouement au sein de l’équipe, un peu comme quand on découvre un nouveau jouet. L’enthousiasme est palpable, et c’est précisément cet état d’esprit qu’il faut conserver. L’équipe s’est vite rendu compte qu’avec ces outils, elle pouvait accomplir des tâches longues et/ou complexes en un temps record. L’IA apporte aussi un côté ludique, nous fait rire parfois, comme lorsque ma voix, générée par l’IA, s’exprime parfaitement en grec ou en arabe. Cela ouvre des horizons et apporte un certain vent de fraîcheur, car on voit les résultats immédiatement, et ils sont souvent impressionnants. C’est ensuite à nous d’y apporter notre touche personnelle.

Cet outil est épanouissant pour l’équipe, mais il faut toujours garder un sens de la mesure. On se pose régulièrement la question : jusqu’où peut-on aller dans l’utilisation de ces technologies ? La frontière est encore floue, car le développement de l’IA progresse si rapidement que les limites sont constamment repoussées.

Du côté des clients, leur priorité est que ça fonctionne bien. Il y a cependant un aspect intéressant concernant les images, qu’il s’agisse de sites web ou de documents : bien souvent, les clients n’ont pas d’images à disposition. Parfois, ils nous en fournissent qui ne sont pas libres de droits, ce qui pose des problèmes de copyright. Si un client est particulièrement attaché à une image spécifique, nous pouvons la modifier légèrement avec l’IA pour contourner les questions de droits d’auteur. Bien que cela puisse soulever des dilemmes éthiques, nous nous conformons aux besoins du client.

Cela soulève des questions juridiques, et j’explique souvent aux gens la manière dont les Américains abordent ces situations. Leur approche reste très pionnière, comme à l’époque de la conquête de l’Ouest : avancer, occuper le terrain, et les règles suivront. Dans la technologie, cette logique persiste : que ce soit Microsoft, Google, ou les réseaux sociaux, ces géants avancent si vite que, bien souvent, la législation peine à suivre. La technologie prend de l’ampleur avant que le cadre légal ne soit établi, et ces entreprises finissent par devenir les normes de facto. C’est le cas aujourd’hui avec l’IA : la technologie avance, le terrain est déjà pris, et la loi est plusieurs trains en retard.

Quel conseil donneriez-vous aux PMEs qui hésitent à franchir le pas vers l’IA ?

J’aime ce proverbe chinois : « Quand le vent du changement souffle, certains construisent des murs, d’autres des moulins ». Construire un mur ne fera pas cesser le vent, alors que construire un moulin permet d’en tirer profit.

Les PME doivent se saisir de l’IA pour prendre et exploiter le vent du changement, sinon d’autres le feront à leur place et prendront l’avantage.

Propos recueillis par Pascale Caron