Le 17 octobre 2024, Monaco a accueilli la troisième édition du Wealth Tech Summit, un événement phare axé sur le thème « Intelligence artificielle et investissement : les nouvelles frontières de la finance ». Organisée par le gouvernement princier de Monaco, Extended Monaco, et l’Association Monégasque des Activités Financières (AMAF), cette rencontre a permis de rassembler les plus grands experts du secteur de la finance et de la technologie.

Patricia Cressot, présidente de Monaco Women In Finance Institute (MWFI), a modéré les débats tout au long de la conférence.

 

La matinée a débuté avec une présentation de Robert Laure, président de l’AMAF. Il a plongé l’audience dans le contexte de la transformation numérique accélérée du secteur financier, soulignant l’incroyable adoption des technologies d’intelligence artificielle (IA). Il a évoqué l’ascension fulgurante de ChatGPT, atteignant un million d’utilisateurs en novembre 2022, et 100 millions dès janvier 2023, illustrant ainsi la rapidité de cette révolution.

Robert Laure a précisé que l’industrie financière, basée sur l’analyse des données, se prête parfaitement à l’intégration de l’IA. Il a mis en avant les applications immédiates telles que l’automatisation des processus, l’optimisation des services à la clientèle via les chatbots. Il a parlé du contrôle des risques avec des outils avancés pour la lutte contre le blanchiment d’argent (KYC), ainsi que la gestion du crédit. Selon lui, l’IA générative amplifie ces transformations, et son adoption massive par les institutions financières est inévitable.

Robert Laure a également insisté sur la nécessaire régulation qui doit accompagner cette révolution. S’il a reconnu que l’IA permet d’améliorer l’efficacité et la productivité du secteur financier, il a averti que chaque nouvelle technologie amène son lot de risques. Parmi ceux évoqués, Laure a mis l’accent sur les discriminations algorithmiques, la dépendance aux prestataires tiers, ainsi que les menaces de cyberattaques. Il a souligné la nécessité pour les institutions financières de maîtriser ces risques tout en profitant des opportunités offertes par l’IA.

 

Jean-Philippe Desbiolles, vice-président d’IBM pour le secteur bancaire et financier, a partagé une vision percutante sur l’impact de l’intelligence artificielle générative (IA générative). Il a exploré les multiples facettes de l’IA dans un monde financier en pleine mutation. Son intervention a mis en lumière les bouleversements technologiques actuels, les opportunités de croissance qu’ils représentent, et les défis éthiques qui les accompagnent.

L’IA générative : un monde de probabilités

Jean-Philippe Desbiolles a commencé son discours en abordant la nature probabiliste de l’intelligence artificielle. Contrairement à une vision déterministe, l’IA, explique-t-il, ne fournit jamais de certitude absolue, mais plutôt des résultats avec un certain degré de fragilité. Comme il l’a précisé, « nous sommes des machines à doutes », et l’IA fonctionne de manière similaire.

Desbiolles a pris soin de rappeler que, malgré les progrès rapides, conserver une vue critique est essentiel. Il a insisté sur l’importance de toujours associer l’apprentissage machine à l’intervention humaine, soulignant nous devons rester au centre du processus décisionnel. « L’IA doit être un complément et non un remplacement ».

 

Une révolution industrielle, pas une simple évolution

Pour Desbiolles, l’IA générative constitue bien plus qu’une évolution technologique. Il s’agit, d’une révolution industrielle comparable à l’invention de l’électricité ou à la naissance d’Internet. Elle fait partie d’une combinaison plus vaste d’innovations, telles que la mobilité, le cloud, et le traitement des données massives.

Cependant, il a mis en garde contre la tentation de tout voir à travers le prisme de l’IA. Bien que celle-ci joue un rôle essentiel, elle n’est qu’une des composantes d’une révolution plus large, alimentée par plusieurs forces technologiques. L’IA, liée à la puissance du cloud et des grandes bases de données, constitue le terreau de cette transformation, mais c’est important de prendre du recul et de comprendre les autres facteurs qui façonnent cette révolution.

 

IA générative : des vagues successives

L’IA ne cesse d’évoluer et traverse des « vagues successives » depuis 2010, avec le machine learning, puis le deep learning en 2015. Chaque avancée a permis à l’IA de repousser les limites de ce qu’elle pouvait accomplir. Aujourd’hui, avec les modèles de langage génératif comme GPT, l’adoption s’est précipitée à un rythme sans précédent jamais vu auparavant dans l’histoire du high-tech.

Cette accélération a renversé les schémas traditionnels. Désormais, ce sont les clients qui demandent aux entreprises de fournir des solutions IA plus rapidement, alors que par le passé, ce sont les compagnies qui incitaient les utilisateurs à embrasser de nouvelles technologies.

Ce changement de paradigme place les acteurs du secteur financier face à un défi : comment rattraper cette vague tout en la maîtrisant ?

 

« Small is beautiful » : vers une IA plus spécialisée

Desbiolles ne croit pas que « plus c’est gros, mieux c’est ». Il prône au contraire une approche où des modèles IA plus petits, plus adaptés aux contextes spécifiques remplaceront les LLMs lourds qui consomment énormément de données et d’énergie. Ce changement vers une IA « multimodale » augmentera la précision des outils.

Des algorithmes dédiés à des domaines tels que le management des risques, la banque privée ou la gestion d’actifs, pourraient permettre une supervision et un contrôle plus fins. Desbiolles a ajouté que les deux prochaines grandes tendances sur lesquelles les entreprises doivent se concentrer sont l’IA « agentique » et l’informatique quantique, qui ouvriront de nouvelles perspectives pour la finance.

 

IA « agentique » et informatique quantique : les prochaines frontières

L’IA agentique, incarne une nouvelle ère de l’automatisation où l’IA ne se contentera plus de fournir des recommandations ou des résumés. Désormais, les « agents intelligents » exécuteront des actions concrètes, en coopération avec d’autres systèmes, pour accomplir des tâches précises. Cette approche va transformer les architectures fonctionnelles et techniques des grandes organisations, les obligeant à revoir leurs processus de manière radicale.

En parallèle, l’informatique quantique prend de plus en plus d’importance. Cette technologie, bien qu’elle ne soit pas encore mature, est déjà en cours d’expérimentation dans des cas d’utilisation très spécifiques : tels que l’anticipation de l’attrition des clients dans les services financiers. Le Quantum Machine Learning (QML), est la prochaine étape dans la révolution des capacités de traitement de données massives et complexes.

 

Éthique et régulation : les défis de demain

Nous avons maintenant les outils pour mesurer des critères tels que la transparence, l’explicabilité et la robustesse des systèmes IA. Cependant, la technologie n’est pas suffisante : les entreprises doivent instaurer des cadres éthiques explicites pour s’assurer que l’IA est employée de manière juste et alignée avec ses valeurs.

Il a insisté sur la nécessité de formaliser des « frameworks éthiques » dans les grandes corporations afin que l’utilisation de l’IA soit non seulement contrôlée, mais aussi compréhensible par tous y compris les clients. Il doit être mesuré à travers des KPI précis et monitoré en continu, sans quoi l’adoption massive de ces technologies risque de se faire au détriment de la confiance et de la transparence.

 

Une collaboration entre humains et machines

Desbiolles a insisté sur l’importance de voir en l’IA un véritable collègue avec lequel les professionnels de la finance devront collaborer. Les humains et les machines devront travailler main dans la main pour répondre aux besoins complexes des clients.

Il a également mis en garde contre une asymétrie croissante, où les utilisateurs, de plus en plus équipés d’outils IA sophistiqués, seront en mesure de défier les institutions financières comme jamais auparavant. Les conseillers devront donc redoubler d’efforts pour rester pertinents et crédibles face à cette nouvelle donne.

 

Des perspectives locales : L’expérience de BNP Paribas avec l’IA

Charles Thurat, a partagé son expérience sur l’implémentation de l’IA au sein de BNP Paribas Wealth Management. Il a mis en lumière les défis uniques que représente l’utilisation de l’IA dans la gestion patrimoniale. Les volumes de données dans ce cas-là sont bien moindres que dans la banque de détail, mais par contre les exigences de personnalisation des clients sont bien plus élevées.

Thurat a expliqué que BNP Paribas a depuis longtemps intégré des outils d’IA dans ses processus de crédit à la consommation et de banque de détail. Mais avec la banque privée, ils utilisent l’IA de manière encore plus ciblée pour des processus comme le KYC, qui implique l’analyse de grandes quantités de données structurées ou pas. Les équipes peuvent désormais filtrer plus efficacement ces données pour identifier les personnes à risque et individualiser leurs offres en fonction des besoins précis des clients.

Cette intégration permet également aux conseillers de BNP Paribas de dégager du temps. Ils peuvent ainsi mieux se concentrer sur la relation humaine, essentielle dans la gestion de patrimoine. Ils ont insisté sur le fait que l’IA ne doit pas remplacer les interactions commerciales, mais plutôt les enrichir en fournissant des informations plus pertinentes, à un rythme plus rapide.

 

IA et cybersécurité

L’entreprise monégasque MVE a également eu l’occasion de présenter son approche innovante en matière d’IA et de cybersécurité. Mr Oufrani a expliqué comment leur société a recours à l’IA pour sécuriser les transactions financières et les informations sensibles des clients.

Il a évoqué les défis croissants posés par les interfaces telles que ChatGPT, qui peuvent être détournées sans protection suffisante. Il a insisté sur l’importance de la réglementation en matière d’IA, en particulier dans des secteurs aussi vulnérables que la finance.

 

Simon Weinberger de Blackrock a abordé l’impact de l’intelligence artificielle (IA) sur les stratégies d’investissement. Ils utilisent L’IA pour analyser des volumes massifs de données, identifier des indicateurs clés, et anticiper la performance des actions sur les marchés. En combinant différentes sources, notamment le sentiment des investisseurs, les transactions des hedge funds, et les tendances sur les réseaux sociaux, Blackrock a recourt l’apprentissage automatique pour affiner ses prévisions et ses stratégies d’investissement.

Weinberger a souligné que les améliorations récentes dans la puissance de calcul permettent d’analyser plusieurs années de données en quelques secondes, rendant le processus plus rapide et plus efficace.

La grande question qui se pose avec l’IA est celle de la transparence : peut-on vraiment comprendre ce que la machine fait ?

Weinberger a affirmé que les modèles produisent des résultats intuitivement intelligibles.

L’IA ne remplace pas l’intervention humaine, mais la complète, en injectant de la créativité et du sens dans l’interprétation des données. Cette approche, basée sur l’intégration de l’humain et de l’IA, a aidé Blackrock à maintenir une performance constante sur les marchés financiers, à la fois dans les pays développés et émergents.

Combiner ces capacités leur permet de continuer à innover et de délivrer de bons résultats dans un environnement de plus en plus compétitif.

 

En conclusion Mr Frédéric Genta du Gouvernement Princier a abordé notamment l’analyse géopolitique de l’intelligence artificielle (IA). Il a exposé les quatre modèles en fonction des zones géographiques. Le technolibéral, dominant aux États-Unis, le régulateur plébiscité par l’Europe, l’agile représenté par des régions comme le Golfe persique et Singapour, et enfin le planificateur en Chine. Chaque approche se distingue par la gestion de l’innovation, de la souveraineté technologique, et du contrôle de la réglementation. Monsieur Genta semble vouloir démontrer comment ces modèles influencent les dynamiques économiques et politiques globales, en insistant sur l’importance de la collaboration internationale dans le domaine de l’IA.

 

Le Wealth Tech Summit 2024 a ainsi offert un aperçu complet des transformations en cours dans le secteur financier, et montré que l’IA, bien que prometteuse, requiert une adoption réfléchie et responsable. La finance de demain sera indéniablement plus intelligente, mais aussi plus complexe, nécessitant une coopération étroite entre humains et machines pour en tirer le meilleur parti.