Interview de Kevin Soler, CEO de Virteem, pour #EntrepreneurIA
Propos recueillis par Pascale Caron

Virteem est basée à Sophia Antipolis, spécialisée dans l’intelligence artificielle, la visite et réalité virtuelle, le 3D et le métavers. La société a récemment opéré un repositionnement stratégique vers l’IA générative. Sous la direction de Kevin Soler, ils ont développé Virteem Companion, un assistant numérique intelligent conçu pour centraliser et analyser les documents d’entreprise.

Commençons par une introduction sur votre activité et ce qui vous a amené à implémenter l’IA dans l’entreprise.

En 2012, nous avons fondé Virteem, une compagnie spécialisée dans la réalité virtuelle. Deux ans plus tard, en 2014, nous avons franchi un cap en ouvrant 65 points de vente répartis à travers la France.

En 2019, une crise interne a secoué Virteem. J’ai racheté les parts de mon associé et, en l’espace de deux ans, j’ai réussi à redresser la situation. La période de COVID a joué en notre faveur. Les restrictions physiques ont créé une demande pour des espaces virtuels. Les écoles cherchaient à organiser des journées portes ouvertes virtuelles, tandis que les entreprises avaient besoin de solutions pour continuer à fonctionner sans rassemblement en personne. Le digital a renforcé ce sentiment d’appartenance, et en 2021, Virteem était de nouveau sur pied.

Cependant, cela n’a pas été sans défi : on a dû rattraper le retard accumulé, renouveler nos équipes. Et à ce stade, je me suis posé des questions plus profondes sur la transmission des connaissances au sein de l’entreprise. « Si demain, on multipliait par dix la taille de Virteem, qu’est-ce qui nous manquerait ? Que fait-on de manière inadéquate aujourd’hui ? »

Après presque dix ans à la tête de mon entreprise, j’avais envie d’aller plus loin, de prendre des risques. J’ai donc demandé à mes équipes : « Si on devait accélérer, quel outil nous faudrait-il pour y arriver ? »

 

Comment avez-vous abordé cette réflexion ?

Nous avons exploré plusieurs approches, du Kanban aux séances de team building. Finalement, un constat s’est imposé : que l’on soit dans les équipes techniques, commerciales, administratives, un besoin récurrent ressortait à chaque fois : l’accès à la connaissance interne de l’entreprise. Cela allait des questions pratiques, comme « Comment obtenir un nouveau badge pour la cantine ? » ou « Quels logiciels utilisons-nous pour le suivi des projets ? ». Et puis des interrogations plus stratégiques, telles que « Avons-nous déjà répondu à un appel d’offres similaire ? ».

 

C’est donc ce besoin de structurer la connaissance interne qui vous a amenés à l’intelligence artificielle ?

Un jour, un membre de l’équipe m’a dit : « On est des techniciens et on croit beaucoup en l’IA. Ça fait deux ans et demi qu’on en parle, et c’est vraiment l’avenir. » Moi, j’avais vaguement eu vent de quelques concepts, mais je leur ai demandé de me proposer des idées. Ils m’ont convaincu de l’intérêt d’avoir un système où toutes les données seraient centralisées, et au lieu de les chercher manuellement comme sur Google.

Nous avons donc lancé le projet, et après six mois de développement, nous avions une première version. Le résultat assez basique et pas très esthétique, mais très fonctionnel pour un usage interne. Par exemple, quand je devais répondre à un appel d’offres, je pouvais interroger notre IA : « Quel est notre politique RSE ? » et elle me proposait exactement le texte adéquat.

J’avais posé deux conditions à l’équipe : d’abord, l’IA ne devait pas déformer les informations, contrairement à ce que pourraient faire d’autres systèmes comme ChatGPT. Ensuite, il fallait que l’outil soit suffisamment performant pour qu’il devienne indispensable au quotidien, peu importe le service de l’entreprise. Nous l’avons donc testé en interne, et ça a été une vraie révolution. Aujourd’hui, cet outil est central dans la manière dont on gère les connaissances chez Virteem.

Et puis même si on est une petite entreprise, je ne voulais pas que nos données puissent fuiter. J’ai demandé à mes équipes de trouver une solution pour que tout soit basé en France et que cela respecte un maximum de normes. À l’époque elles n’existaient pas encore vraiment. Mais les choses ont évolué. Il y a eu l’IA Act, l’ISO 42001, et nous nous sommes alignés sur ces standards. D’ailleurs, je suis allé plus loin et j’ai posé une question simple : « Est-ce que cette problématique concerne uniquement notre entreprise ou d’autres aussi ? »

Une étude de McKinsey montre que les employés passent en moyenne 1,8 heure par jour à rechercher des informations internes, soit environ 19,8 % de leur temps de travail. Ce qui est dramatique, c’est que ces chiffres ne prennent pas en compte ces moments perdus à demander de l’aide à ses collègues, à interrompre leurs tâches, puis à devoir se remettre au travail.

 

Comment avez-vous réagi à ces données ?

1,8 heure gaspillée chaque jour, c’était énorme, surtout en France où la durée de travail quotidienne est souvent autour de sept heures. On a donc commencé à réfléchir à l’impact que cela pouvait avoir sur notre propre productivité. Nous avons calculé le retour sur investissement (ROI) de notre projet en interne. Bien sûr, nous n’avons pas atteint 1,8 heures d’économie, car nos processus sont plus agiles que ceux des grands groupes, mais nous avons tout de même constaté une nette amélioration.

Et puis un jour, pendant d’une conférence où j’étais invité, je me suis retrouvé à une table ronde avec des clients dans les secteurs de l’assurance et de l’énergie. Ils m’ont interrogé sur nos bonnes pratiques en interne. Je leur ai parlé de notre outil, et ils m’ont demandé si on pouvait leur vendre ce système. En rentrant, on a analysé avec mes équipes ce que cela impliquerait de rendre cet outil commercialisable. Nous avons alors lancé une nouvelle phase de développement qui a duré un peu plus d’un an.

 

Et vous avez commencé à le commercialiser récemment, c’est ça ?

Oui, en septembre de cette année. Je me suis entouré de la docteur Héloïse Maurel, qui est notre CTO et qui supervise toute l’offre IA. Aujourd’hui, nous avons différents clients qui exploitent notre solution, comme le Crédit Agricole. Ils l’utilisent dans des contextes très similaires à ce que j’ai décrit.

Notre plus grande différenciation, c’est notre approche de la souveraineté des données. Nous avons tout fait pour que Virteem Companion soit complètement conforme aux normes françaises et européennes, ce qui est une énorme contrainte. En France, un seul fournisseur est susceptible de proposer des CPUs à grande échelle pour ce type de service, et c’est OVH.

 

C’est donc un défi de taille par rapport à d’autres acteurs internationaux ?

Nous ne jouons pas à armes égales avec les Américains, qui développent des systèmes similaires, mais sans se soucier de la souveraineté des données et avec des levées de fonds beaucoup plus importantes. Ils sont également soumis à des contraintes légales beaucoup moins strictes, ce qui leur permet d’adopter les changements plus rapidement.

L’Europe, d’une manière ou d’une autre, aura besoin d’un concurrent aux GAFAMs dans ces domaines, car il n’en existe pas encore aujourd’hui. C’est un marché complexe, peu finançable, mais absolument nécessaire pour garantir notre souveraineté technologique à l’échelle européenne.

 

Quelles solutions d’IA utilisez-vous chez Virteem ?

On ne va pas redévelopper les LLMs, ça n’a aucun sens. Ils coûtent des dizaines, voire des centaines de millions à créer et entraîner, et cela prend énormément de temps. C’est là qu’intervient le travail de Mistral. Nous avons choisi cette brique pour le modèle : on l’exploite en open source et nous l’hébergeons chez OVH, pour rester souverains. Ensuite, on ajoute toute une batterie d’éléments complémentaires pour que ça réponde à nos cas d’usage spécifiques.

Nous avons un DataSet propriétaire pour entraîner l’IA. Il y a aussi un système de sécurisation des données et un cloisonnement entre les clients pour l’entraînement du modèle, afin d’éviter les biais ou dérives.

 

Comment avez-vous surmonté les défis culturels et humains lors de l’intégration de l’IA ?

En réalité, ce sont mes équipes qui ont proposé l’idée. Chez nous, l’âge moyen est de 23 ans, ils sont naturellement beaucoup moins réfractaires même s’ils sont conscients que certains postes seront potentiellement remplacés par l’IA dans quelques années. D’ailleurs, un de mes clients est en train de tester un POC de Virteem Companion et le but est de supprimer toute une BU (Business Unit), si l’essai se révèle concluant.

On se dirige vers des changements majeurs. Par exemple, je préfère mille fois échanger avec une IA qui me comprend et me répond clairement plutôt que de perdre du temps avec un démarcheur téléphonique peu efficace. L’humain se concentrera sur des tâches à plus forte valeur ajoutée, tandis que les actions répétitives seront automatisées. Je crois profondément en l’idée que l’humain peut améliorer l’IA, mais encore plus en celle d’une IA amplifiée par l’humain.

 

Pour moi, l’IA a même un certain potentiel créatif, même si je reste attaché à l’art humain. Je suis photographe et j’aime aller dans des endroits extrêmes, comme dormir au bord d’un lac dans le Mercantour pour capturer un instant. Certes, une IA peut générer une belle image, mais elle ne remplace pas cette expérience. Pour la musique, j’ai écouté des compositions faites par IA, et franchement, il y a des choses intéressantes à reprendre.

C’est un outil. Quand les gens me disent qu’ils ont peur qu’elle rende la nouvelle génération « débile », je ne suis pas d’accord. Utiliser des procédés intelligents pour accomplir des tâches répétitives n’abêtit pas, c’est au contraire une façon d’optimiser son temps. Est-ce que je suis devenu plus « stupide » en surfant sur Internet plutôt que dans une encyclopédie papier ? Non, c’est juste une méthode différente.

 

Quels sont les défis techniques que Virteem a rencontrés en mettant en place l’IA chez vous et vos clients ?

Chez nous, c’est avant tout de la recherche pure et dure. Nous devons constamment tâtonner pour trouver les meilleures briques à assembler et créer de la pertinence. Une IA généraliste qui sait tout faire et le fait bien n’existe pas. Il faut des solutions spécialisées pour chaque cas d’usage. Nous avons dû concevoir ces solutions.

Chez nos clients, surtout dans les grands groupes, la donnée est là, mais elle est souvent dispersée entre différentes unités et rarement retravaillée. Il y a aussi un manque de standardisation, dans la gestion de ces projets d’IA. Parfois, c’est la DSI qui pilote, ou les métiers ou l’innovation. Cela crée beaucoup de complexité.

 

Quels conseils donneriez-vous aux PME qui hésitent à franchir le pas vers l’IA ?

Je dirais : « Pas d’a priori », car ils tuent l’innovation. L’IA n’est pas là pour remplacer l’humain, mais pour nous faciliter la vie, rendre nos processus plus fluides et plus efficaces. C’est un outil qui nous aide à accomplir des missions que nous ne pourrions pas réaliser aussi rapidement, et avec autant de précision, sans lui.