Interview d’Adina Grigoriu, Présidente fondatrice, et Hala Najmeddine, Directrice de la Recherche et Docteure en IA chez Active Asset Allocation (AAA)
Propos recueillis par Pascale Caron
Active Asset Allocation (AAA) est une société d’ingénierie financière. Elle se spécialise dans la conception de stratégies d’allocation d’actifs sur-mesure, avec un accent particulier sur la gestion des risques et la limitation active des pertes en capital. La société a développé une méthodologie brevetée basée sur le Maximum Drawdown, qui est automatisée grâce à des algorithmes d’intelligence artificielle.
Parlez-nous tout d’abord de votre activité et de ce qui vous a poussé à intégrer l’intelligence artificielle dans votre entreprise ?
J’ai fondé la société en 2010. À l’époque, nous développions des algorithmes d’investissement pour des institutions, avec une approche différente de ce qui se faisait alors. Notre gestion du risque reposait sur la perte maximale en capital, et nos modèles étaient dynamiques, pensés pour un univers prospectif. Cela nous permettait de concevoir des stratégies tournées vers l’avenir, plutôt que de simplement analyser le passé.
Une autre particularité de notre démarche est d’avoir placé l’objectif du client au centre de l’algorithme, ce qui était rare il y a presque 15 ans. À l’époque, peu se demandaient quel objectif un algorithme ou un produit financier devait atteindre. Nous avons persisté avec cette approche, qui nous a valu un grand succès. Aujourd’hui, nous conseillons plus de 22 milliards d’euros d’encours pour des institutions importantes, comme des caisses de retraite et des mutuelles. Nous intervenons tant pour leurs comptes propres que dans la création de produits distribués, notamment via des contrats d’assurance-vie. Cela représente véritablement l’ADN d’Active Asset Allocation.
Nous avons ensuite consolidé notre expertise en ingénierie financière dans une plateforme digitale, avec pour objectif de servir les acteurs de l’épargne au sein d’un écosystème digital. C’est ainsi que nous avons lancé notre outil appelé PMS. Il s’adresse aux sociétés de gestion, pratiquant la gestion pilotée ou déléguée, mais également aux assureurs qui l’intègrent dans leurs contrats d’assurance-vie. Il permet de construire des portefeuilles, de réaliser des simulations, d’optimiser les investissements et de générer des rapports. Il répond aux besoins croissants de gestion digitale et performante dans le secteur de l’épargne.
Un troisième volet de notre activité est dédié à la distribution d’épargne. Pour cela, nous avons développé des simulateurs destinés aux acteurs de la distribution, qui intègrent des outils d’aide à la vente pour des solutions sur mesure, souvent complexes. Ils permettent aux clients de visualiser concrètement l’impact d’une épargne mensuelle sur plusieurs années, en investissant dans un produit ou une stratégie spécifique, facilitant ainsi leur prise de décision.
La réglementation actuelle, notamment la loi Industrie Verte, nous pousse à avancer dans cette direction. Cela nous oblige à respecter des normes strictes, et c’est là que notre agilité en tant que Fintech nous donne un avantage.
Nos systèmes reposent sur des technologies récentes comme le cloud natif, et l’ensemble de nos calculs est réalisé via des APIs. Cette approche est beaucoup plus simple que pour des entreprises qui doivent composer avec des couches technologiques accumulées au fil des décennies.
Comment avez-vous réfléchi à intégrer l’IA ?
Hala : Quand je suis arrivée chez AAA il y a six ans, nous étions alors en pleine transition. À l’époque, nous réalisions principalement des études pour nos clients. Nous avons encapsulé notre savoir-faire dans des méthodes digitales pour répondre à nos propres besoins et à ceux de nos clients.
Nous avons ensuite cherché à répondre à différents cas d’usage, en structurant et normalisant nos approches afin de rendre le déploiement plus simple. Nous avons utilisé les dernières technologies, en prêtant une attention particulière à la sécurité des données, un aspect crucial pour la gestion des informations sensibles. Ces réflexions nous ont permis, au fil des années, de développer notre plateforme digitale.
Nous avons lancé la première version en 2018, réalisée en externe à l’époque. Pendant la période du Covid, nous avons décidé de la refondre, notamment durant les mois de juillet et août, et avons livré nos premiers gros clients. Par exemple, 1 200 conseillers de la MAIF ont utilisé notre plateforme.
Aujourd’hui, nous comptons une équipe d’environ 20 personnes. Ce qui est remarquable, c’est que la plupart sont avec nous depuis six ans, et au fil du temps, nous avons bâti une équipe avec un savoir-faire unique. Récemment, nous avons également incorporé de nouvelles recrues.
Quant à l’intégration de l’IA, cela fait partie de notre ADN en tant que Fintech. Ce qui a changé, c’est l’interconnectivité et les avancées qui rendent l’IA plus accessible et pertinente. Depuis nos débuts, nous utilisions des modèles de simulation et d’apprentissage, bien avant que l’IA ne soit au centre des discussions.
Nos algorithmes ne relèvent pas du big data ou de l’IA générative, mais d’une branche axée sur des calculs spécifiques. Cela nous permet, en tant que fournisseurs de solutions, d’apporter plus de rapidité et de précision dans nos calculs, ainsi que plus de convergence et d’individualisation. Nous éliminons également les erreurs et automatisons les tâches répétitives. À l’époque, il nous fallait une semaine de travail pour deux ou trois clients. Avec la demande accrue de nos nombreux clients, l’IA nous aide à rendre ces processus beaucoup plus efficaces.
Est-ce que vous utilisez des LLMs ?
Aujourd’hui, nous n’employons pas directement de grands modèles de langage (LLM) dans notre activité principale, mais c’est une voie que nous explorons.
Nous faisons néanmoins appel à des outils comme Notebook LM de manière occasionnelle, principalement pour nous assister dans la rédaction de contenu pour le marketing et la communication, entre autres. Nous avons mis en place des règles strictes pour leur utilisation. Par exemple, nous privilégions des versions payantes avec des abonnements administrés par notre CTO, et nous restons très vigilants sur la gestion des données. De plus, nous veillons à ne jamais inclure de documents sensibles et ne manipulons que des données publiques lorsque celles-ci sont destinées à être visibles par tous, comme celles contribuant à la notoriété d’AAA.
Nous avons constaté le potentiel immense de cette technologie et des succès qu’elle a déjà permis de réaliser. Ce serait dommage de ne pas en profiter ! C’est pourquoi nous avons commencé à explorer des solutions plus avancées, avec des projets en cours pour inclure des LLMs dans notre activité.
À titre d’exemple, nous menons actuellement des ateliers afin d’intégrer des petits modèles à base de LLM. Ces modèles seront entraînés sur un ensemble de données appropriées pour répondre à nos besoins spécifiques de reporting. Leurs performances seront optimisées grâce au fine-tuning et des ajustements continus, qui se feront selon le scoring obtenu et le taux de confiance des résultats fournis par les modèles.
Est-ce que vous avez constaté des changements positifs chez vos clients depuis que vous avez intégré l’IA ?
Nos clients demandent souvent des justifications détaillées sur nos modèles et leur comportement à différentes étapes. Nous nous efforçons de rendre ces informations accessibles et compréhensibles, pour expliquer précisément leur fonctionnement. Tout est transparent, il n’y a pas de boîte noire, ce qui renforce la confiance des clients. Certains étaient réticents au début, mais une fois qu’ils ont saisi le fonctionnement, ils se sont montrés beaucoup plus ouverts à l’IA.
Historiquement, nous étions davantage orientés vers des clients institutionnels, mais l’IA nous a permis de nous rapprocher du quasi-mass market, bien que nous ne travaillions pas directement avec les clients finaux. Par exemple, nous fournissons des outils aux conseillers financiers pour qu’ils puissent proposer des solutions d’investissement sur mesure. Nos logiciels prennent en compte simultanément un grand nombre de paramètres, comme l’univers d’investissement, les règles de gestion, le niveau de risque, les critères ESG, et les taxonomies, pour générer un portefeuille en quelques secondes. Ce portefeuille est ensuite comparé à l’objectif du client pour offrir une réponse adaptée.
Cela permet aux conseillers de proposer des solutions individualisées, même à deux clients ayant des situations économiques similaires. Chacun recevra un portefeuille différent, parfaitement ajusté à ses objectifs spécifiques.
Quels conseils donneriez-vous aux PME ou autres entreprises qui hésitent à adopter l’IA ?
Il est essentiel de s’intéresser à l’IA, car elle sera incontournable à l’avenir. Acculturez-vous aux technologies en amont et identifiez clairement le cas d’usage que vous souhaitez résoudre. Comprendre les enjeux et les risques est crucial avant de se lancer. Faire appel à des experts peut être judicieux, notamment pour éviter les écueils liés aux coûts d’infrastructure, au cloud et à la sécurité des données. Un mauvais choix technologique peut vite devenir un casse-tête budgétaire. Adoptez une approche pragmatique : évaluez les bénéfices escomptés par rapport aux coûts, et progressez par étapes, sans attendre des résultats immédiats sur le chiffre d’affaires.