Olivier Havette : « Avec LENET, l’IA devient le moteur de croissance pour les entreprises européennes aux États-Unis »

Propos recueillis par Pascale Caron

Dans le monde des services IT, Olivier Havette est un entrepreneur français qui a su imposer son expertise aux États-Unis en aidant les sociétés européennes à réussir leur implantation. En tant que CEO et fondateur de LENET, Olivier et son équipe offrent un accompagnement complet en infrastructure technologique, stratégie, et récemment, en intelligence artificielle. Dans cet entretien, il partage sa vision et les défis rencontrés, les bénéfices concrets que peut apporter l’IA, mais aussi des conseils pratiques pour les PME qui souhaitent se lancer.

 

Olivier, pouvez-vous nous expliquer votre secteur d’activité et la manière dont LENET se positionne aux États-Unis ?

LENET est spécialisée dans les services IT pour les entreprises, principalement européennes, qui cherchent à s’implanter et croître sur les états unis. Nous offrons un soutien pour l’infrastructure technologique, la cybersécurité, et désormais l’IA. Nous opérons dans tous les fuseaux horaires avec des clients basés aux États-Unis, au Canada, en Amérique du Sud, mais aussi au Moyen-Orient et en Asie. Cependant, notre cœur de cible reste le marché américain. Cela fait plus de 15 ans que j’ai lancé LENET, seul au départ. Aujourd’hui, nous sommes une équipe de plus de 30 collaborateurs. Nous accompagnons des petites entreprises de cinq employés, jusqu’à des sociétés qui génèrent un milliard de dollars de chiffre d’affaires. L’objectif principal de LENET est de soutenir nos clients dans leur développement international en optimisant leur IT pour réussir cette croissance.

L’IA et la cybersécurité sont au cœur de nos discussions stratégiques. Les entreprises sont davantage conscientes de l’importance de sécuriser leurs données. Grâce à nos audits réguliers, elles dorment mieux la nuit, sachant qu’elles sont protégées, même si certaines ont encore des marges d’amélioration. En revanche, l’IA est en pleine expansion. Elles veulent se former, et comprendre comment l’appliquer pour renforcer leur compétitivité. Lors de nos revues stratégiques trimestrielles, l’IA revient toujours dans les discussions, et nos clients expriment un désir clair de coaching dans l’intégration de l’IA dans leurs processus business. En fonction de sa taille et de ses besoins, nous gérons leur informatique de bout en bout. Contrairement aux fournisseurs traditionnels qui installent un système puis disparaissent, nous sommes sur un accompagnement dans la durée et une approche qui est particulièrement appréciée.

 

Comment l’IA s’intègre-t-elle concrètement dans vos opérations et celles de vos clients ?

Certains se sont engagés dans des solutions sur-mesure pour leurs compagnies, mais les bénéfices escomptés ne sont pas toujours au rendez-vous. J’ai plusieurs exemples de projets implémentés sans que les résultats attendus soient atteints. Ce qui fonctionne bien en ce moment, ce sont plutôt les plateformes, comme Gemini pour Google Workspace ou Copilot pour Office 365. On est vraiment dans une première phase où les outils couramment employés par les sociétés intègrent une couche d’IA.

Au début, notre priorité a été de mettre en place des « AI Policies » pour chaque client. Dès leur apparition, alors que l’IA était vue comme une « boîte noire », nous avons commencé à sensibiliser les entreprises. Les salariés devaient savoir comment utiliser l’IA de manière sécurisée et conforme, car, de toute façon, ils allaient s’en servir.

En 2022, l’essor des outils comme ChatGPT 3.5 a rendu l’IA plus accessible, poussant les employés à explorer ces technologies. Aujourd’hui, on est toujours dans une période de réflexion. Les clients n’ont pas encore abandonné leurs plateformes habituelles pour des solutions concurrentes, même si celles-ci pourraient fournir des intégrations IA plus abouties. Cette transition n’est pas pour l’instant d’actualité ; l’heure est à l’observation et à l’optimisation de ce qui est déjà en place.

 

Et chez Lenet ?

L’IA a plusieurs applications chez nous. Chaque département utilise des outils adaptés à ses besoins spécifiques.

Celui qui nous est le plus efficace concerne la gestion des tickets : chacun est analysé par une IA qui propose des recommandations. Cela nous aide particulièrement avec les techniciens moins expérimentés, leur offrant des suggestions sur les points à vérifier. Cette IA ne remplace pas l’intervention humaine, mais elle ajoute des annotations internes à chaque ticket. Elle conseille des pistes de résolution et suit les actions du client et des devs, en indiquant des étapes intéressantes au fur et à mesure de l’avancement.

Nous exploitons pour cela un logiciel nommé REWST, de plus en plus populaire dans notre secteur, qui s’intègre bien avec ConnectWise, notre système central de gestion, un ERP pour les entreprises IT. Depuis un moment, ConnectWise promet des améliorations IA, mais leur déploiement est lent. En parallèle, des plateformes plus petites et innovantes, comme REWST, traitent les tickets de manière plus proactive.

Certains de mes amis CEOs utilisent des outils plus avancés capables de lire l’ensemble de l’historique, de comparer les réponses appliquées, et de proposer des résolutions basées sur ces données. Elles vont au-delà de l’analyse individuelle de chaque ticket. Nous avons accumulé des années de données, qui seraient un atout précieux pour les solutions IA qui s’améliorent en continu.

Bien que j’aie fréquemment été un « early adopter », aujourd’hui, avec la croissance de l’entreprise, je préfère attendre le retour de mes confrères avant de me lancer dans le bêta-testing. Chaque trimestre, je rejoins un groupe de CEO pour échanger sur nos outils et meilleures pratiques, et c’est ainsi que REWST nous a été recommandé.

Dans notre équipe marketing, on utilise principalement Claude pour la rédaction de documents et d’e-mails. Les résultats sont souvent supérieurs à ceux de la version payante de ChatGPT, notamment pour des contenus plus aboutis. Claude semble produire un style qui convient davantage à notre entreprise, avec des nuances spécifiques en fonction du ton recherché. Notre responsable m’a même montré des exemples pour prouver son efficacité, et je dois dire que les différences sont bien visibles.

Nous exploitons aussi Claude pour proposer des idées de plans marketing. On a recourt également à ChatGPT pour des réflexions stratégiques. Canva AI pour le design, et Midjourney qui donne de très bons résultats visuels.

Pour les devs, ChatGPT est précieux pour générer du code et du scripting. Que ce soit pour des scripts de maintenance, des sauvegardes, il nous fournit des solutions très efficaces. Un de nos développeurs, particulièrement compétent, est capable de boucler ces tâches en un temps record, ce qui a réduit nos besoins en personnel pour certaines opérations.

Du côté RH, on a recourt l’IA pour rédiger les offres d’emploi et les descriptions de poste, ce qui nous fait gagner énormément de temps par rapport à la création de zéros.

C’est intéressant aussi pour la correction des e-mails. Bien que notre équipe soit internationale, on travaille aux États-Unis, donc un anglais parfait est essentiel. On utilise Grammarly, qui a évolué avec une intégration IA, et le résultat est très convaincant : on donne véritablement l’impression d’une grande maîtrise de la langue.

Pour les prises de notes en réunion, j’ai TLDV, car il supporte également le français. J’ai commencé avec Firefly, très populaire au sein de LENET, mais limité à l’anglais. TLDV me permet de traduire et partager les résumés avec mes collègues selon leurs langages préférés, un vrai plus pour une équipe multilingue. Cela dit, Firefly reste la solution la plus utilisée chez LENET.

Pour les ventes, nous avons un outil d’analyse comportementale vidéo qui évalue les réactions des clients lors des appels. Cet outil sophistiqué nous coûte un peu plus cher, mais il est extrêmement pratique pour affiner nos processus commerciaux, en offrant des indications en temps réel sur la réception de nos messages par le client.

 

La cybersécurité reste un domaine crucial. Comment l’IA vous aide-t-elle à relever les défis liés à la sécurité ?

L’IA nous épaule pour analyser des volumes de données massifs pour détecter des anomalies. Nous utilisons, par exemple, des logiciels d’audit de conformité. Pour un client dans l’industrie électrique, nous avons intégré ChatGPT pour examiner les exigences du Department of Defense (DoD). Cela nous permet de gagner du temps et de garantir une étude plus précise. La cybersécurité implique souvent de chercher une aiguille dans une botte de foin, et l’IA se révèle être un atout majeur pour repérer ces signaux faibles.

 

Quels changements positifs avez-vous observés dans la dynamique de LENET grâce à l’IA ?

C’est avant tout un raccourcissement des délais et une réduction des allers-retours entre départements, notamment pour des questions techniques complexes. Avant, les commerciaux devaient régulièrement se tourner vers les opérations pour obtenir des informations. Désormais, elles peuvent interroger directement à une IA. Les réponses ne sont peut-être pas aussi précises que celles d’un dev, mais elles suffisent pour avancer, ce qui permet aux devs de rester concentrés sur leur travail. Ils peuvent ainsi progresser dans leurs propositions et n’impliquer les experts que lorsqu’ils ont déjà une base solide.

Prenons l’exemple d’un onboarding technique. Pour intégrer un nouveau collaborateur chez un client, nous avons environ 70 étapes à suivre. On doit paramétrer divers logiciels, demander des accès, préparer la machine, installer les applications spécifiques, ajuster les autorisations, et créer des utilisateurs sur chacune. Auparavant, chaque phase impliquait une action manuelle pour naviguer entre plusieurs programmes et la configuration.

Cela nécessitait toujours une personne pour orchestrer tout ce processus, même si ce n’était pas la tâche la plus intéressante. Aujourd’hui, au lieu de faire ces actions séparément, nous avons mis en place un système qui gère l’ensemble de la procédure automatiquement. Cela s’applique aux onboarding et à ceux d’offboarding, qui prenaient énormément de temps.

 

Quels sont les défis auxquels vous faites face dans l’intégration de l’IA ?

L’IA crée beaucoup d’enthousiasme, mais aussi de l’anxiété. Certains collaborateurs qui s’interrogent sur la pérennité de leur poste dans l’entreprise. L’un des enjeux principaux est de montrer que l’IA n’est pas là pour se substituer, mais pour améliorer. Elle libère les employés des tâches répétitives, leur permettant de se concentrer sur des missions plus complexes et à forte valeur ajoutée. On doit instaurer cette culture de l’IA en expliquant que l’objectif est l’augmentation de compétences, pas le remplacement.

Certains métiers seront plus impactés que d’autres. J’ai un exemple très parlant qui m’est arrivé ce mois-ci : chaque année, mon comptable me soumet ma déclaration fiscale — cette année, c’était prévu pour le 15 octobre aux États-Unis. En général, je reçois le document de 170 pages cinq jours avant et me demande simplement si tout semble correct. Cette fois-ci, au lieu de le parcourir rapidement moi-même, j’ai décidé de transmettre le PDF à ChatGPT pour trouver des opportunités d’optimisation. L’IA m’a renvoyé plusieurs suggestions d’ajustements possibles, que j’ai ensuite envoyés à mon conseiller, qui a reconnu qu’il n’y avait pas pensé. Cela met en évidence qu’un comptable ne peut pas connaître par cœur toutes les options de déductions pour chaque client, tandis qu’une IA peut analyser chaque détail sans limites de temps.

Sur certains points sa réponse a été : « Ah, je ne savais pas. » Ce n’est pas ce que j’attendais d’un expert en fiscalité — c’est à lui de poser les bonnes questions. Ce que l’IA m’apporte, c’est la capacité de mener une conversation plus précise avec lui, sans même maîtriser tous les aspects. En conclusion j’ai changé de comptable !

 

Que conseilleriez-vous aux PME qui hésitent encore à franchir le pas vers l’IA ?

Pour les PME, je recommande une intégration progressive. Beaucoup veulent tout révolutionner, mais c’est souvent plus utile de commencer par de petites améliorations dans les processus existants par exemple en allégeant les tâches répétitives. Une fois que les équipes se familiarisent avec les outils d’IA et qu’elles en mesurent la valeur ajoutée, elles pourront passer à une étape supérieure. L’entreprise a recourt à de nombreuses applications, et je pense qu’ils devraient maximiser leur potentiel avant de chercher ailleurs. Aujourd’hui, la plupart des éditeurs de logiciels intègrent de l’IA dans leurs plateformes. Certains le font de manière efficace, d’autres moins, et dans quelques années, on adaptera notre choix de systèmes en fonction de ceux qui auront réussi cette transition. Pour l’instant, l’idée est de tester ce qui est disponible dans ceux que l’on a déjà.

Côté management, je pense qu’ils doivent donner l’impulsion : encourager les équipes à essayer, à se lancer, à prendre le temps d’explorer. Par la suite, ils doivent surtout recueillir leurs retours d’expérience pour guider les prochaines étapes. La plupart des entreprises — et nos clients en particulier — autorisent l’utilisation de ces outils, sous réserve de respecter les règles de confidentialité.

Mais là où le management pourrait faire la différence, c’est en encourageant davantage le feedback. Les équipes sont souvent trop absorbées par leurs propres tâches pour partager ce qui fonctionne ou non. Il faut réunir les organisations pour échanger sur leurs succès et défis, et tirer parti de leurs expériences. Cela permettrait à chacun d’apprendre des pratiques des autres et de progresser ensemble.

 

À votre avis, quel est l’avenir de l’IA dans le secteur des services IT ?

Elle nous permet clairement d’aller plus vite, mais la concurrence en profite aussi. On ne voit pas pour l’instant d’effet notable sur les revenus. Cependant, l’IA améliore la qualité de service, notamment dans la gestion des tickets. Elle offre à des techniciens moins expérimentés la possibilité d’administrer des problèmes plus complexes, ce qui libère du temps pour des activités de conseil et personnalise davantage le support aux clients. En fait, on passe d’une opération répétitive à une véritable valeur ajoutée en proposant davantage de consulting.

Cependant toute société qui néglige d’adopter l’IA risque de se retrouver en retard face à la concurrence. À l’avenir, toute entreprise d’IT sera une « AI business », au même titre qu’elle est aujourd’hui une « technology business ». Les cycles se sont accélérés. Alors que le renouvellement des technologies prenait cinq ans, puis trois, nous avons des changements tous les trimestres. L’humain reste le facteur limitant, car il ne peut pas suivre une telle vitesse. Il est donc crucial de bien encadrer cette transition et d’y aller pas à pas. Je pense que l’avenir repose sur une complémentarité entre l’IA et l’équipe. Il est essentiel de garder une expertise pour les missions de conseil et de personnalisation des services.