De l’automatisation des tâches à l’émergence d’une économie agentique structurée

Une rupture plus profonde qu’une simple évolution technologique

En moins de vingt-quatre mois, les agents d’intelligence artificielle ont quitté le registre de l’expérimentation pour s’imposer comme un nouveau socle organisationnel. Ce basculement ne relève ni d’un effet de mode ni d’une simple montée en puissance des modèles de langage. Il marque une transformation structurelle de la manière dont les entreprises décident, opèrent et créent de la valeur.

Le rapport AI Agent Bible – The ultimate guide to agent disruption, publié en 2025 par CB Insights, constitue à ce titre une référence majeure. Il documente avec rigueur l’émergence d’un écosystème agentique mondial, déjà porté par plus de 500 startups fondées depuis 2023 et par l’ensemble des grands acteurs technologiques.

L’enjeu n’est plus de savoir si les agents IA vont s’imposer, mais comment les organisations vont structurer leur adoption sans perdre le contrôle de leurs processus critiques.

De l’IA assistante à l’IA agissante

Un agent IA ne se résume pas à un chatbot avancé. Selon la définition opérationnelle retenue par CB Insights, il s’agit d’un système fondé sur des modèles de langage capables de raisonner, planifier, mémoriser et agir de manière autonome, en interaction avec des outils, des données et d’autres agents.

Cette distinction est essentielle. Là où les copilotes se contentent d’assister l’humain, les agents exécutent des chaînes d’actions complètes, parfois sans intervention humaine directe. En 2025, la majorité de ces agents opèrent encore avec des garde-fous stricts. Mais la trajectoire est claire : l’autonomie progresse à mesure que les entreprises apprennent à encadrer les risques.

Le rapport propose un cadre de maturité explicite, allant des chatbots aux agents pleinement autonomes. Cette grille de lecture permet de dépasser le discours marketing et d’évaluer objectivement le niveau réel d’autonomie d’un projet IA.

Une dynamique de marché d’une intensité inédite

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les mentions des agents IA dans les communications financières ont été multipliées par dix depuis 2023. Un quart des startups d’agents créées depuis cette date sont déjà en phase de déploiement commercial. Parmi les 1 500 marchés technologiques suivis par CB Insights, cinq des dix plus actifs en 2025 sont directement liés aux agents IA.

Cette accélération est sans précédent. Historiquement, les technologies d’infrastructure mettaient plusieurs années à atteindre une maturité commerciale significative. Les agents IA franchissent ce seuil en moins de deux ans. Cette vitesse impose aux directions générales une prise de décision rapide, souvent sans recul historique suffisant.

Le véritable champ de bataille : l’architecture, pas le modèle

L’un des apports majeurs du rapport réside dans le déplacement du regard. La valeur ne se situe plus principalement dans le modèle de langage. Elle se construit dans l’architecture globale : données, contexte, orchestration, sécurité, gouvernance.

CB Insights cartographie un tech stack agentique structuré en couches distinctes : modèles et infrastructure, frameworks d’agents, intégration d’outils, gestion du contexte et de la mémoire, orchestration multiagent, supervision et gouvernance. Cette approche met en évidence un point clé : un agent sans accès fiable aux bonnes données, au bon moment, devient un facteur de risque plutôt qu’un levier de performance.

Ce déplacement stratégique explique l’émergence rapide de nouveaux marchés, notamment dans l’observabilité, la gouvernance et la sécurité des agents.

Protocoles et standards : la bataille de l’interopérabilité

L’économie agentique ne peut fonctionner sans standards. Trois protocoles se sont imposés en moins d’un an comme des briques structurantes : le Model Context Protocol d’Anthropic, l’Agent-to-Agent Protocol de Google et le protocole de communication d’IBM.

Ces initiatives visent à résoudre un problème fondamental : permettre à des agents hétérogènes de communiquer, de se coordonner et d’agir dans des environnements complexes et distribués. Le parallèle établi par CB Insights avec l’Internet pré-TCP/IP est éclairant. Sans standards partagés, les agents restent des îlots technologiques.

L’adoption rapide de ces protocoles par les grands cabinets de conseil, les fournisseurs cloud et les éditeurs de logiciels indique que l’interopérabilité devient un prérequis stratégique, et non un luxe technique.

Quand les agents entrent dans l’économie réelle

L’un des tournants les plus significatifs concerne l’émergence de l’agentique commerce. Pour la première fois, des infrastructures permettent à des agents d’exécuter des transactions financières pour le compte d’utilisateurs, dans des cadres d’autorisation prédéfinis.

Des acteurs comme Stripe, Visa, Mastercard ou Coinbase investissent ce champ. Stripe a annoncé le lancement d’un protocole de commerce agentique destiné à standardiser les échanges entre agents, entreprises et systèmes de paiement. Cette évolution ouvre la voie à des scénarios jusqu’alors théoriques : agents négociant des achats, arbitrant des fournisseurs ou optimisant des chaînes logistiques en temps réel.

Ce marché reste immature. Mais il cristallise une convergence stratégique entre IA, fintech et commerce, avec des implications réglementaires majeures.

Le choc économique du raisonnement

Le rapport consacre une analyse approfondie à un phénomène encore sous-estimé : le coût du raisonnement. Les modèles de raisonnement, qui ont rendu possibles le « vibe coding » et l’exécution de tâches complexes par des agents, multiplient par vingt le volume de tokens générés.

Dans le secteur des agents de développement logiciel, cette dynamique a entraîné une compression brutale des marges. Des entreprises affichant une croissance spectaculaire de leur chiffre d’affaires se retrouvent confrontées à des coûts d’inférence qui dépassent la valeur captée. Résultat : hausse des prix, remise en cause des modèles d’abonnement, et multiplication des acqui-hires plutôt que des acquisitions classiques. Cette leçon dépasse largement le seul domaine du code. Elle annonce ce qui attend d’autres catégories d’agents à mesure que les usages de raisonnement intensif se généralisent.

Gouverner des agents devient un enjeu stratégique

À mesure que les agents gagnent en autonomie, la question n’est plus seulement ce qu’ils peuvent faire, mais comment ils sont supervisés, audités et contrôlés. CB Insights identifie l’émergence rapide d’un marché dédié à l’observabilité et à la gouvernance des agents.

Tests de voix, utilisateurs synthétiques, mesure de la productivité humain-IA, traçabilité des décisions : ces outils deviennent indispensables pour éviter des défaillances coûteuses. Dans certains secteurs, notamment la cybersécurité, le rapport anticipe une transformation profonde des métiers, avec des professionnels évoluant vers des rôles de supervision d’armées d’agents spécialisés.

Une transformation organisationnelle, pas seulement technologique

Le message central du AI Agent Bible est sans ambiguïté. Les agents IA ne sont pas de simples outils. Ils redéfinissent la structure même des organisations. Ils modifient les chaînes de valeur, redistribuent les responsabilités et imposent une nouvelle forme de gouvernance.

La question stratégique pour les entreprises n’est plus « faut-il adopter des agents IA ? », mais :

  • quels agents déployer,
  • sur quelles données,
  • avec quels garde-fous,
  • et sous quelle responsabilité humaine.

Les organisations qui sauront maîtriser l’orchestration, la gouvernance et l’économie réelle des agents construiront un avantage durable. Les autres risquent de subir une automatisation qu’elles ne contrôlent plus.

Article publié dans le cadre de EntrepreneurIA par Yunova