Analyse par Pascale Caron

Pendant plusieurs années, l’intelligence artificielle en santé a avancé par promesses successives. Pilotes isolés. Démonstrateurs spectaculaires. Startups survalorisées.
2025 marque une rupture nette : l’IA n’est plus une innovation périphérique. Elle devient une infrastructure opérationnelle, intégrée aux systèmes de soins, aux agences réglementaires et aux politiques de santé publique.

C’est le constat central dressé dans l’édition de fin d’année de l’AI & Healthcare Newsletter #42 – 2025 Review Edition, publiée par Dr. Timos Papagatsias, fondateur de LucidQuest.
Une synthèse dense, factuelle, fondée sur des cas d’usage déployés à grande échelle, des données cliniques réelles et des décisions réglementaires concrètes.

Trois bascules structurelles ont redéfini l’IA en santé

  1. Des solutions ponctuelles aux workflows de bout en bout

Premier changement majeur : l’IA a quitté le statut d’outil spécialisé pour s’inscrire dans des chaînes de valeur complètes.

En 2025, les déploiements les plus performants ne reposent plus sur des algorithmes isolés. Ils s’appuient sur des pipelines intégrés couvrant la production de comptes rendus cliniques, la priorisation des examens d’imagerie, le suivi longitudinal des patients, la rédaction réglementaire et la coordination des parcours de soins.

Les délais se sont contractés brutalement. Ce qui prenait plusieurs jours, parfois des semaines, s’exécute désormais en quelques minutes. L’enjeu n’est plus la performance du modèle, mais la fluidité organisationnelle.

  1. De la performance technique à la confiance organisationnelle

Deuxième bascule : le champ de bataille s’est déplacé. La question n’est plus « l’algorithme est-il précis ? » mais « peut-on lui faire confiance à l’échelle ? »

Les critères décisifs en 2025 deviennent : la gouvernance des modèles, la gestion des biais, la sécurité, la surveillance post-déploiement, la responsabilité opérationnelle.

La montée en puissance des audits, du red teaming (évaluation en posture adverse) et des benchmarks indépendants traduit une maturité nouvelle. La confiance devient un actif stratégique, aussi déterminant que la précision statistique.

  1. De l’innovation expérimentale à l’actif régulé

Enfin, l’IA est désormais traitée comme un actif médical et opérationnel réglementé.

Des cadres nationaux émergent. Les agences de santé elles-mêmes adoptent l’IA pour accélérer leurs propres processus d’évaluation. La capacité réglementaire devient un levier technologique. L’innovation ne s’oppose plus à la régulation, elle en dépend.

 

Les preuves qui ont façonné la pratique en 2025

Le dépistage du cancer du sein à l’échelle populationnelle

Une étude portant sur environ 105 000 femmes a montré qu’un système d’IA appliqué à la mammographie : augmentait la détection des cancers de 29 %, réduisait la charge de travail des radiologues de 44 %, sans hausse des faux positifs.

L’enjeu n’était pas la précision isolée, mais la capacité du système à absorber la pénurie de spécialistes sans dégrader la qualité des soins.

Le triage dermatologique autonome

Des systèmes certifiés CE, conçus pour la détection des cancers cutanés, ont atteint des taux de précision compris entre 97 % et 99,8 %. Dans les systèmes de soins réels, ces outils ont permis de désengorger jusqu’à 40 % des orientations urgentes.
L’IA ne soutient plus la décision médicale : elle devient porte d’entrée du parcours de soins.

La productivité réglementaire augmentée

Au sein d’agences sanitaires, des pilotes de modèles génératifs internes ont réduit certaines tâches de revue scientifique de trois jours à quelques minutes.

Conséquence directe : le déploiement d’infrastructures sécurisées de modèles de langage à l’échelle organisationnelle dès mi-2025. La vitesse réglementaire devient une variable stratégique.

Les médicaments conçus par IA entrent en clinique

Une étude de phase 2a sur un traitement antifibrotique conçu par IA a démontré une amélioration de la fonction pulmonaire par rapport au placebo.

Ce résultat marque un tournant : l’IA ne se limite plus à générer des hypothèses précliniques. Elle produit des signaux d’efficacité humaine mesurables.

L’observance thérapeutique comme critère de résultat clinique (outcome)

Dans le champ de la santé mentale sévère, l’usage de piluliers connectés a fait passer l’observance médicamenteuse de 21 % à 78 % en un an. Les hospitalisations liées aux rechutes ont chuté. La santé digitale sort du registre de l’engagement pour entrer dans celui de l’impact médico-économique mesurable.

Des trajectoires régionales contrastées, mais convergentes

États-Unis : accélération réglementaire et déploiement clinique

Les autorités américaines ont simultanément : intégré l’IA dans leurs workflows internes, autorisé plusieurs dispositifs diagnostiques et thérapeutiques, généralisé les scribes médicaux et les outils de triage. L’IA devient un standard opérationnel.

Europe : intégration systémique et gouvernance éthique

En Europe, le déploiement s’accompagne de structures de supervision formalisées.
Les parcours liés au NICE facilitent l’adoption nationale de diagnostics autonomes.
L’OMS crée un centre collaboratif dédié à l’éthique de l’IA. La transparence et la surveillance post-marché deviennent non négociables.

Asie-Pacifique : plateformes nationales et diagnostics à grande échelle

La Corée du Sud simplifie les procédures d’approbation. La Chine investit massivement dans le dépistage populationnel. Singapour, le Japon et Taïwan étendent l’IA à la cardiologie, la neurologie et la santé publique. L’accent est mis sur l’efficience à grande échelle.

Moyen-Orient et Sud global : rattrapage par saut technologique

L’IA est mobilisée pour contourner les pénuries de personnel et d’infrastructures.
Diagnostics assistés, télésurveillance et thérapeutiques digitales sont déployés avec une attention croissante portée à l’éthique et à l’alignement réglementaire.

Sécurité, confiance et biais : les angles morts révélés

2025 a aussi mis en lumière les limites.

  • Des erreurs non détectées dans des communications générées par IA.
  • Des signaux persistants de biais raciaux dans certaines recommandations psychiatriques.
  • Des failles de sécurité dans les grands modèles de langage.

Résultat : les audits de biais, l’explicabilité et les cadres de responsabilité deviennent des prérequis systémiques, non des options.

Diagnostic plus précoce, décisions plus ciblées

L’IA appliquée aux radiographies thoraciques, ECG, imageries rétiniennes ou mammographies permet désormais d’identifier des risques cardiovasculaires, rénaux ou oncologiques des années avant les symptômes cliniques.

Les modèles combinant imagerie, génomique et données cliniques améliorent significativement la prédiction des rechutes et des réponses thérapeutiques.

L’adoption suit la valeur décisionnelle.
Les outils qui réduisent le temps au diagnostic ou évitent des actes inutiles se diffusent le plus rapidement.

Le seuil structurel est franchi

La conclusion est sans ambiguïté. Fin 2025, l’intelligence artificielle a franchi un seuil structurel en santé. La différence ne réside plus dans la qualité des algorithmes, mais dans la capacité des organisations à : gouverner, instaurer la confiance, intégrer l’IA comme une infrastructure critique. L’avantage compétitif ne récompense plus l’expérimentation. Il récompense l’exécution.