Conférence FCE Nice « Data & IA, duo magique », animée par Flora Debrosses, avec Didier Aït (Optim’ease), Audrey Lamy-Martinot (Data Acteur) et Arnaud Pinte (iPepper).
La salle est pleine. L’envie d’y voir clair domine. Flora Debrosses ouvre la soirée avec un constat simple : l’intelligence artificielle n’a pas de conscience. Elle imite. Elle calcule. Elle assiste. Le futur se jouera dans la complémentarité entre humains et machines.
Trois voix structurent le débat.
- Didier Aït place le dirigeant en chef d’orchestre.
- Audrey Lamy-Martinot ramène au réel : sans patrimoine de données, pas d’IA utile.
- Arnaud Pinte montre la voie cas d’usage → prototype → industrialisation, avec des retours sur investissement rapides.
Le ton est posé. Rigueur, pédagogie et terrain.
Le dirigeant, chef d’orchestre de l’IA
Changement de paradigme. Pour la première fois, l’entreprise travaille une imitation de l’intelligence. Les modèles dialoguent, résument, classent, génèrent. Ils ne perçoivent pas le monde. Ils ne ressentent rien. Ce sont des assistants.
Didier insiste : l’IA n’écrit pas la stratégie. Elle l’exécute. D’où l’exigence de sens. Objectifs, mission, valeurs, modèle d’affaires. Puis la priorisation : où l’IA crée-t-elle de la valeur maintenant, sans diluer le différenciant de l’entreprise ?
Message clé : ne pas fétichiser la technique. L’IA sert le savoir-faire. Elle ne le fonde pas.
Commencer par l’actif oublié : le patrimoine de données
Sans données, l’IA tourne à vide. Premier geste : inventorier. Où sont les données ? Qui en est responsable ? À quoi servent-elles ?
Audrey propose une analogie parlante : on suit son compte bancaire. On doit suivre son capital de données. La donnée est un actif immatériel qui se valorise à l’usage.
Trois piliers opérationnels s’imposent :
- Gouvernance des données. Rôles et responsabilités clairs. Un propriétaire par objet de données. Des règles de mise à jour. Une chaîne d’impact maîtrisée entre services.
- Qualité des données. Processus continus. Indicateurs de qualité explicites (indicateurs clés de performance, Key Performance Indicators). Suivi régulier : complétude, fraîcheur, unicité, exactitude.
- Dictionnaire de données. Un vocabulaire partagé. Les termes métier sont définis, validés, diffusés. Sans lexique, pas de collaboration fiable.
Méthodologiquement, Audrey conjugue descendant (partir du besoin métier) et ascendant (faire parler les données). La rencontre des deux, produit de meilleures décisions. Elle ajoute un point concret : rendre les modèles expliqués. Un assistant conversationnel peut exposer des résultats statistiques de manière intelligible.
Des cas d’usage au prototype : retours rapides, frugalité et souveraineté
Arnaud casse une croyance : l’IA ne nous éloigne pas du métier, elle y ramène. On part d’un irritant. On prototype en semaines, pas en mois. On mesure la valeur. On ajuste.
Sa démarche tient en trois verbes : Detect → Shape → Build.
- Detect: sélectionner un irritant métier clair et chiffré.
- Shape : prototyper vite, avec la donnée disponible et un périmètre serré.
- Build : industrialiser si la preuve de valeur est là.
Point d’attention fort : la fiabilité. Les modèles de langage de grande taille (LLM—Large Language Models) « répondent toujours ». Même lorsqu’ils n’ont pas la bonne information. Sur les volumes chiffrés et les dates, le risque d’hallucination existe. Il faut cadencer par des seuils de confiance. Ajouter des garde-fous. Accepter parfois une phase de réglage fin avant d’atteindre le niveau attendu.
Autre axe : souveraineté et sobriété. Tout n’exige pas un géant du cloud. Des modèles spécialisés sur données d’entreprise peuvent tourner en interne, réduire l’empreinte et protéger l’actif informationnel. Le choix de l’outil vient après l’analyse de la donnée et du risque.
Un exemple parle à tous : optimiser en temps réel les tournées de techniciens. L’IA réalloue les déplacements, limite les allers-retours, propose l’information terrain (nomenclatures, pièces). Résultat : fluidité opérationnelle, temps gagné, coûts réduits.
Les erreurs à éviter et la bonne métrique de réussite
Erreur courante : se lancer sans état des lieux. On documente d’abord. On cible ensuite.
Autre écueil : vouloir « le grand soir ». La bonne approche : petits pas, preuves rapides, mesures simples.
Dernier piège : oublier les équipes. Un projet d’IA reste un projet de transformation. Sans appropriation, il cale.
Comment sait-on qu’on progresse ? Par des objectifs adossés au savoir-faire différenciant. C’est la boussole. On suit les écarts. On corrige. On garde l’esprit critique. On ne tombe pas amoureux d’une solution. On reste pragmatiques.
La peur existe. Elle se traite par le travail côte à côte. Montrer l’utilité au poste. Réduire la ressaisie. Libérer du temps pour le cœur de métier.
L’entreprise gagne à reconnaître une fonction de directeur ou directrice des données (Chief Data Officer). Sa mission : gouvernance, sécurité, qualité, vocabulaire, conduite du changement. Un rôle de passeur entre technique et métier.
Outils, coûts et financements : arbitrer en adultes
Le marché foisonne. Les LLM « sérieux » sont nombreux. Les connecteurs « légers » accélèrent l’intégration entre paie, caisse, entrepôt, gestion commerciale, relation client. On bâtit un entrepôt de données (Data Warehouse) et des magasins de données (Data Marts). L’IA interroge les bons jeux de données.
Côté systèmes, le PGI (Progiciel de Gestion Intégré, ERP — Enterprise Resource Planning) reste la colonne vertébrale. Le GRC (Gestion de la Relation Client, CRM — Customer Relationship Management) tient la vue client. La priorité n’est pas l’outil. La priorité est la donnée et sa qualité.
La question budgétaire est réelle. Des dispositifs d’appui existent selon projets et secteurs, via des acteurs publics de financement comme Bpifrance (Banque Publique d’Investissement), sous conditions d’éligibilité. L’idée à retenir : chercher les leviers adaptés à la taille et au contexte, tout en gardant la gouvernance en interne.
La salle — Peurs, désirs, nouveaux territoires
Le dialogue confirme une tension saine. Gagner du temps, oui. Remplacer des équipes, non. Dans la santé, l’enjeu est tangible : décharger les praticiens des tâches administratives pour sécuriser le soin. Dans l’art, l’IA ouvre des pratiques nouvelles. Le prompt devient écriture. La photographie n’a pas tué la peinture. L’IA ne tue pas l’art. Elle déplace les frontières.
Fil rouge : dissiper la peur par l’usage. Montrer. Tester. Mesurer. Ajuster.
Feuille de route pratico-pratique
- Audit flash data et usages. Cartographier applications, flux, sources, accès, risques. Lister trois irritants chiffrés.
- Gouvernance minimale. Nommer des propriétaires de données. Édicter des règles de mise à jour. Ouvrir un dictionnaire partagé.
- Qualité priorisée. Cibler cinq objets de données « or ». Définir des indicateurs simples. Installer un rituel de revue.
- Prototype en quatre à six semaines. Un cas d’usage. Un périmètre. Un verdict binaire : valeur prouvée ou non.
- Sécurité et souveraineté raisonnées. Distinguer ce qui peut aller hors de l’entreprise et ce qui doit rester interne. Documenter les arbitrages.
- Passage à l’échelle. Industrialiser ce qui marche. Ouvrir le second cas d’usage. Former par l’accompagnement au poste.
À retenir
- Le dirigeant cadre et priorise. La technique suit.
- La donnée est un actif. Elle se gère comme tel.
- Les retours sur investissement existent quand on part du métier et qu’on prototype vite.
- La fiabilité se pilote. Les hallucinations se contiennent.
- L’acculturation est continue. La confiance naît de l’usage.
Questions ouvertes pour vos comités de direction
- Quel actif de données différencie réellement votre entreprise aujourd’hui, et comment le valorisez-vous ?
- Quel irritant métier mérite un prototype sous six semaines ?
- Où placez-vous la barre de fiabilité acceptable pour décider, et comment la mesurez-vous ?
- Quels arbitrages souveraineté/coût/performance êtes-vous prêts à assumer, noir sur blanc ?
- Votre dictionnaire de données est-il lisible par un nouveau collaborateur en 30 minutes ?
Nous avions interviewé Arnaud Pinte et Flora Debrosses dans la cadre de notre enquête #EntrepreneurIA. Propos receuillis par Pascale Caron.