Entretien EntrepreneurIA de Philippe Montant Fondateur & DG ReKrute

Propos recueillis par Dr. Yves-marie Le Bay

Avec près de 19 ans d’expertise, ReKrute.com s’est imposé comme un acteur clé pour les entreprises qui cherchent à se démarquer, dans la « guerre des talents ». Aujourd’hui, avec une base de données qualitative de 1,5 million de profils de cadres enregistrés, ReKrute accompagne chaque année plus de 3000 grandes entreprises et multinationales. Le but est de maximiser leur marque employeur pour recruter et fidéliser les meilleurs talents. ReKrute c’est 54 000 visiteurs par jour et plus de 66 000 offres d’emploi publiées par an. Et pour ReKrute, l’intelligence artificielle (IA) a été un levier essentiel d’amélioration des processus RH clients et internes.

 

Pouvez-vous nous parler de l’activité de votre entreprise en quelques mots, ainsi que des dates importantes dans votre parcours ?

J’ai commencé ma carrière en sortant de Centrale Lille, où j’ai suivi une spécialité en informatique et gestion, une voie qui m’intéressait plus que la technique pure. Après l’école, j’ai travaillé chez Ernst & Young dans l’audit financier pendant trois ans. C’était intéressant, mais j’ai rapidement réalisé que ce n’était pas ce que je voulais faire sur le long terme. J’ai donc fait la transition vers le conseil stratégique et l’innovation, dans un cabinet parisien où j’ai été associé pendant plusieurs années.

Ensuite, j’ai rejoint Dell Europe en tant que directeur de projet, où j’ai notamment supervisé le passage de l’an 2000 et la mise en place de nouveaux ERP. Cela m’a amené à travailler sur la digitalisation des processus industriels, comme les commandes en ligne et la gestion en temps réel de la production. Puis, en 2002, je suis devenu directeur Internet pour l’Europe du Sud, à une époque où l’Internet commençait à vraiment transformer les entreprises.

Après cette expérience, j’ai rejoint Microsoft Afrique du Nord pour diriger la division des PME, ce qui m’a finalement conduit à co-fonder ReKrute avec ma femme Alexandra Montant. C’était au moment où j’ai quitté Microsoft que ReKrute est réellement né, un projet sur lequel j’ai pris la partie technologique en charge. Au début, nous étions seulement deux, puis nous avons rapidement grandi pour atteindre une équipe de 40 personnes. Nous avons ensuite réduit pour stabiliser à 20 employés, mais nous avons su optimiser nos processus et rester rentables, même pendant des périodes difficiles comme la pandémie de COVID-19.

 

Quelle a été votre principale motivation pour intégrer l’intelligence artificielle dans vos processus ? Quel aspect de votre secteur vous a incité à faire ce choix, et comment cela a-t-il transformé vos opérations ?

Intégrer l’IA était avant tout une réponse à un besoin d’efficacité. Le secteur du recrutement est particulièrement compétitif. Les candidats s’attendent à des réponses rapides, tandis que les entreprises veulent s’assurer de trouver le bon talent, au bon moment. L’IA nous permet de traiter d’énormes quantités de données, d’améliorer la qualité des matches entre les candidats et les entreprises, et de maximiser l’efficacité opérationnelle.

Avant l’IA, les équipes de nos clients passaient des heures à trier les CV, à s’assurer que chaque candidat correspondait aux exigences du poste, à vérifier la cohérence des profils. Depuis que nous avons adopté l’IA, les processus ont changé de manière drastique. Nous avons mis en place des systèmes qui analysent les CV, extraient les données importantes et mettent en correspondance les compétences avec les exigences des postes, tout en laissant toujours la décision finale à un recruteur humain. Cette approche permet de maximiser la qualité des recrutements et de réduire les erreurs d’appariement. Cela permet à nos clients de se concentrer sur l’essentiel : l’évaluation humaine et les interactions interpersonnelles, qui restent cruciales.

 

Quelles solutions d’IA avez-vous choisies pour atteindre vos objectifs et pourquoi ?

Nous avons pris une approche pragmatique pour sélectionner les solutions d’IA. Nous avons développé Kiara, un assistant digital qui optimise le CV des candidats et aide les recruteurs à identifier des compétences au-delà de celles visibles sur le CV. Nous utilisons principalement des modèles de langage évolués comme GPT-4, qui sont des outils très performants pour les processus d’analyse de texte et de traitement du langage naturel. Ces modèles nous aident, par exemple, à générer des annonces d’emploi plus percutantes, à résumer les CV de manière concise pour les recruteurs, et à proposer des suggestions de compétences pertinentes à ajouter au profil des candidats.

Nous avons également mis en place un parsing automatique des CV grâce à l’IA. Ce parsing permet d’extraire des données précises et de présenter un profil complet aux recruteurs sans que les candidats n’aient à tout saisir manuellement. Cela permet à nos clients d’avoir un accès immédiat à des informations claires et exploitables. Nous avons aussi une fonction d’analyse des valeurs, qui permet de comparer les valeurs des candidats avec la culture des entreprises et de s’assurer qu’il y a un alignement avant même le premier entretien.

Ainsi Kiara offre une série de fonctionnalités intéressantes pour les candidats à la recherche d’emploi. Par exemple :

  • L’optimisation de CV : L’IA aide les candidats à créer et à optimiser leur CV en offrant des suggestions adaptées.
  • La personnalisation des CV : Elle peut adapter automatiquement les CV en fonction des spécificités de chaque offre d’emploi.

Pour les recruteurs, Kiara a été conçue afin de rationaliser le processus de recrutement :

  • Kiara permet aux entreprises et cabinets de recrutement de rédiger en quelques secondes une offre d’emploi attractive et percutante, pour attirer les meilleurs talents.
  • Kiara est capable de trier les candidatures reçues et de fournir une liste restreinte de candidats correspondants aux exigences du poste.
  • Kiara peut recommander des profils spécifiques qui correspondent le mieux aux critères des offres d’emploi publiées.
  • Ainsi Kiara permet de réduire la charge administrative associée au tri des CV et à la première phase de présélection, ce qui permet aux recruteurs de se concentrer sur les entretiens et la sélection finale.

 

 

Comment avez-vous surmonté les défis culturels et humains lors de l’intégration de l’IA dans vos processus ?

Des défis humains et culturels ont dû être surmontés, au-delà des défis techniques. L’IA faisait peur. Certains de mes collaborateurs craignaient que ces technologies prennent leur emploi, et les remplacent. Mon rôle a donc été de communiquer clairement et de façon transparente sur les objectifs de l’IA dans l’entreprise.

J’ai insisté sur le fait que l’IA n’était pas là pour remplacer qui que ce soit, mais pour nous aider à être plus performants collectivement. L’automatisation des tâches répétitives, comme la saisie de données ou la présélection des CV, permet à chacun de se concentrer sur ce qui compte vraiment : l’évaluation qualitative des candidats et les interactions humaines. Par exemple, l’IA nous permet d’aider nos clients à préparer des résumés des entretiens, ce qui leur fait gagner un temps précieux sans qu’ils perdent le contrôle du processus.

De plus, nous avons mis en place des séances de formation à l’IA pour chacune de nos équipes, afin qu’ils se sentent à l’aise avec les outils. Il était important que chacun comprenne la valeur ajoutée de ces technologies et leur rôle dans nos opérations quotidiennes. C’était aussi une façon de démystifier ces outils et de montrer comment ils pouvaient améliorer leur propre productivité. À notre grande surprise, dès l’introduction de l’IA, ce sont les équipes IT qui se sont révélées les plus réticentes à l’adopter. Elles étaient les moins disposées à tester et exploiter ces technologies, malgré le fait que leur domaine soit probablement celui où l’apport potentiel de l’IA est le plus significatif.

 

Quels défis techniques avez-vous rencontrés lors de la mise en place des solutions d’IA ?

Les défis techniques étaient nombreux, surtout lorsqu’il s’agissait de s’assurer que l’IA était éthique et transparente. L’un des plus grands défis était la qualité des données d’entraînement et les biais qu’elles peuvent introduire. Par exemple, nous avons constaté que certains systèmes d’IA tendaient à reproduire des biais historiques. Si, par le passé, un client n’avait embauché que des hommes pour des postes de vente, l’IA pouvait involontairement favoriser de nouveaux candidats masculins. Nous avons donc dû travailler activement pour contrôler les biais et s’assurer que notre IA recommandait des candidats de manière équitable.

Nous avons également rencontré des défis autour de la transparence des recommandations de l’IA. Lorsqu’un système fait une suggestion, il est essentiel que les recruteurs comprennent pourquoi cette suggestion est faite. C’est pourquoi nous avons mis en place des systèmes qui permettent d’expliquer les recommandations à nos utilisateurs. Cela crée plus de confiance dans l’outil et assure une bonne compréhension du processus.

Enfin, l’intégration technique de ces outils a demandé une bonne dose d’innovation. Nous avons dû équilibrer l’utilisation de l’IA pour qu’elle fonctionne avec nos autres systèmes internes, comme notre ERP, et garantir la sécurité des données candidates et clients, ce qui a été un véritable défi.

 

Quels changements positifs avez-vous observés dans la dynamique de votre équipe grâce à l’intégration de l’IA ?

Il y a eu plusieurs changements notables au sein de l’équipe. Le premier, et probablement le plus important, est que l’IA a libéré nos collaborateurs des tâches les plus répétitives et chronophages. Par exemple, avant l’utilisation de l’IA, chaque communication sur les réseaux sociaux devait être conçue et réalisée manuellement. Aujourd’hui, ces tâches sont traitées par des algorithmes d’IA, ce qui nous permet de gagner un temps précieux.

Ce gain de temps a été réinvesti dans la création de valeur. Les recruteurs peuvent se concentrer davantage sur la qualité de la relation avec les candidats et sur le conseil apporté aux clients. Cela a également permis de réduire le stress lié aux délais, car l’IA assure une continuité de service même pendant les pics d’activité. En interne, nous avons observé une dynamique plus collaborative : l’IA est perçue comme un coéquipier qui aide à atteindre des objectifs ambitieux.

Un autre aspect très positif est que nos équipes sont devenues plus innovantes. Elles cherchent de nouvelles façons d’utiliser l’IA pour améliorer encore nos processus, ce qui nous permet d’innover constamment et d’améliorer notre proposition de valeur pour les clients. Cela a renforcé l’esprit d’initiative, et les équipes se sentent valorisées en étant associées à ces projets novateurs. Actuellement, nous avons plus d’une vingtaine d’idées de développement informatique autour de l’IA qui nous permettrait d’encore améliorer le recrutement.

 

Quel conseil donneriez-vous aux PME qui hésitent à franchir le pas de l’IA ?

Mon premier conseil aux PME est de commencer modestement. Beaucoup d’entreprises imaginent qu’intégrer l’IA signifie révolutionner tous leurs processus d’un seul coup. Ce n’est pas le cas. Il vaut mieux commencer par des cas d’utilisation précis et à faible risque. Par exemple, automatiser la réponse aux questions fréquemment posées, utiliser l’IA pour analyser les CV des candidats, ou générer automatiquement des résumés d’entretien. Cela permet de prouver rapidement la valeur de l’IA sans bouleverser l’ensemble de l’organisation.

Le deuxième conseil est d’impliquer les équipes dans ce processus. Le défi humain est toujours plus grand que le défi technique, et si les employés se sentent menacés ou laissés pour compte, cela peut créer des blocages majeurs. Il faut expliquer pourquoi l’IA est mise en place, comment elle peut les aider et, surtout, que l’humain reste au centre des décisions. Montrer les gains que chacun peut obtenir en termes de temps, de qualité de vie au travail, et les opportunités de développer des compétences nouvelles autour de l’IA.

Enfin, je recommanderais de choisir des partenaires de confiance. Il est crucial de s’assurer que les données traitées restent sécurisées et que les outils d’IA sont éthiques. Beaucoup de PME s’inquiètent des coûts, mais il existe aujourd’hui des solutions très accessibles qui permettent de commencer sans investir des sommes considérables. L’IA peut vraiment faire la différence dans la compétitivité d’une entreprise si elle est utilisée correctement et éthiquement.

 

Conclusion

ReKrute est un exemple convaincant de la manière dont une entreprise peut utiliser l’intelligence artificielle pour se différencier sur un marché très concurrentiel comme le recrutement. Les deux fondateurs de ReKrute (Philippe et Alexandra Montant), aidés de leurs équipes ont réussi à trouver un équilibre entre la technologie et l’humain, en faisant de l’IA un coéquipier plutôt qu’un concurrent. Leur approche pragmatique de l’adoption de l’IA, leur attention à l’éthique et leur engagement à placer l’humain au cœur des processus sont des leçons précieuses pour toutes les PME qui envisagent de franchir ce pas. L’IA n’est pas une menace, mais une opportunité d’innover et de prospérer, à condition de l’utiliser avec intelligence et respect des valeurs humaines. »

Philippe Montant a conclu l’interview en insistant sur le fait que l’IA ne doit jamais prendre seul des décisions affectant directement la vie des individus. L’IA doit assister, conseiller, et surtout être transparente, mais la décision ultime doit toujours appartenir à l’humain. »