Paris, Sénat — Après une première table ronde consacrée au rôle de l’intelligence artificielle dans la gestion durable des ressources, le Forum du Groupement du Patronat Francophone (GPF) a poursuivi ses travaux par un deuxième panel centré sur l’économie circulaire et les technologies vertes. Une thématique abordée comme une étape incontournable de la transformation économique, non plus comme une utopie mais comme une nécessité vitale.
Cette session a réuni quatre intervenants issus de champs complémentaires :
- Néjia Gharbi, Directrice générale de la Caisse des Dépôts et Consignations,
- Nicolas Imbert, Directeur de Green Cross France & Territoires,
- Thierry Blandinières, Directeur général du groupe InVivo,
- Jacques Bouvy, fondateur d’une start-up de conversion de moteurs diesel vers l’hydrogène.
À travers leurs échanges, une conviction commune s’est imposée : pour réussir la transition écologique, la francophonie doit mobiliser tous les acteurs — entreprises, institutions financières, gouvernements, start-ups et citoyens — afin de sortir du cloisonnement et bâtir des modèles véritablement durables.
Une nouvelle étape dans la transition : de la turbulence à l’action
Dès l’introduction, le modérateur a posé le cadre. Selon lui, les 30 dernières années ont vu les PME traverser des « zones de turbulences » et mettre en place des processus d’amélioration continue. Mais un palier est désormais atteint. Il faut franchir une étape supplémentaire, où l’économie circulaire et les technologies vertes ne relèvent plus de l’expérimentation mais de l’action collective.
« Passer d’un modèle linéaire — produire, consommer, jeter — à un modèle circulaire où les ressources sont réutilisées, recyclées et valorisées, c’est désormais une obligation », a-t-il affirmé. Pourtant, malgré l’existence de solutions concrètes, leur adoption reste fragmentée, trop souvent cantonnée à des initiatives isolées. La vraie question devient alors : comment transformer ces projets en leviers systémiques capables de modifier en profondeur nos économies ?
Néjia Gharbi : financer l’avenir avec une logique de long terme
La première intervention est revenue à Néjia Gharbi, Directrice générale de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). Elle a rappelé le rôle crucial des institutions financières dans l’accélération des transitions.
« Dans leur ADN, les caisses de dépôt sont au service de l’intérêt général. Elles investissent, mais pas n’importe comment : elles investissent durable », a-t-elle expliqué. Pour elle, il ne s’agit pas seulement de soutenir des projets rentables, mais de réduire les risques climatiques et de sécuriser des investissements à long terme au bénéfice des générations futures.
Les CDC, très présentes dans les pays francophones, financent aussi bien des infrastructures que des projets verts, et se veulent catalyseurs d’initiatives structurantes. « Nous devons réduire les risques de régression, car investir dans le court terme au détriment de la durabilité serait une erreur stratégique », a insisté Gharbi.
Penser et réparer les territoires
Le second intervenant, Nicolas Imbert, ingénieur de formation et ancien directeur d’ONG environnementales, a replacé le débat dans une perspective territoriale et citoyenne. Auteur d’un ouvrage intitulé Repenser la planète au nom de la Nacophonie (avec un « a » volontaire, pour insister sur l’idée de « réparer »), il a souligné que la résilience des territoires doit être au cœur des transitions.
« La dégradation de notre environnement met en péril notre mode de vie », a-t-il rappelé, citant le rapport annuel de l’Agence européenne de l’environnement publié le matin même. Mais il a également voulu porter un message d’optimisme : « La bonne nouvelle, c’est que nous avons des pistes de solutions ensemble. »
Imbert a illustré son propos par un exemple concret : la transformation du territoire dunkerquois. Ancien bassin industriel marqué par la dépendance au charbon et à l’acier, il a progressivement su se réinventer en misant sur l’économie verte, les datacenters écologiques, les sports et loisirs, et même les arts numériques. « C’est cette capacité à co-construire des modèles adaptés au territoire, plutôt que d’imposer une solution unique, qui assure la résilience », a-t-il conclu.
L’agriculture comme solution et levier de souveraineté
Avec Thierry Blandinières, directeur général du groupe InVivo, le débat s’est déplacé vers le rôle stratégique de l’agriculture. Pour lui, loin d’être un problème, l’agriculture peut et doit faire partie de la solution.
« L’enjeu est clair : comment une baguette de pain peut-elle être 100 % neutre en carbone ? », a-t-il lancé. La réponse réside dans une approche systémique, couvrant toute la chaîne de valeur, « du champ à l’assiette » : semences, pratiques agricoles, transformation, distribution, jusqu’au produit final.
Il a insisté sur l’importance de l’agriculture de précision, permise par l’intelligence artificielle et la maîtrise des données. Cartographier les parcelles, optimiser l’utilisation de l’eau et des intrants, sécuriser les revenus des agriculteurs : autant de leviers pour concilier productivité et durabilité.
« Il faut rassurer l’agriculteur, lui donner des outils fiables et prédictifs. Sinon, il n’entrera pas dans la transition », a-t-il martelé. Selon lui, l’agriculture régénératrice, la biodiversité et les nouvelles rotations de cultures doivent s’imposer comme les piliers d’une reconquête écologique et économique.
Enfin, Blandinières a soulevé une tension majeure : celle entre compétitivité mondiale et exigences environnementales. « Le prix des céréales est mondial. Si nos produits respectent l’environnement mais deviennent trop chers, ils seront balayés par les importations », a-t-il prévenu. La clé réside dans une alliance entre innovation, financements et régulation, afin de garantir une agriculture à la fois compétitive, durable et souveraine.
Innover en low-tech pour la décarbonation
Dernier intervenant, Jacques Bouvy, fondateur d’une start-up spécialisée dans la conversion de moteurs diesel à l’hydrogène, a illustré une approche d’innovation low-tech.
« Nous sommes cinq personnes dans notre start-up. Difficile de changer le monde à nous seuls », a-t-il reconnu avec humilité. Mais la solution qu’il propose est simple et radicale : transformer les moteurs diesel existants en moteurs hybrides fonctionnant à l’hydrogène, sans perte de puissance, sans pollution, et à un coût bien inférieur aux technologies actuelles.
Soutenu par la région Bourgogne, ce projet illustre une démarche pragmatique : « prendre du vieux et en faire du neuf ». Pour Bouvy, l’économie circulaire ne doit pas seulement concerner les matériaux ou les déchets, mais aussi l’usage et la transformation des infrastructures existantes.
Il a toutefois dénoncé un écueil récurrent : « Les grands groupes captent la plupart des aides publiques et enterrent des innovations disruptives pour éviter qu’elles ne perturbent leurs modèles. » Pour lui, la réussite dépend d’un modèle où chaque acteur — start-up, ateliers locaux, grands groupes — trouve son intérêt économique.
Quatre regards, un même constat
Au fil des échanges, quatre dimensions complémentaires se sont dessinées :
- La finance durable (Gharbi), qui doit sécuriser des investissements à long terme ;
- La résilience territoriale (Imbert), construite sur mesure avec les citoyens et les PME ;
- L’agriculture de précision (Blandinières), qui peut conjuguer souveraineté, compétitivité et durabilité ;
- L’innovation industrielle low-tech (Bouvy), capable de transformer l’existant plutôt que de miser uniquement sur des technologies futuristes.
Ces approches, bien que différentes, convergent vers une même exigence : celle d’un changement systémique, mobilisant simultanément les entreprises, les gouvernements, les investisseurs et les citoyens.
La francophonie économique à la croisée des chemins
Ce panel a également mis en évidence la dimension francophone de la transition. Qu’il s’agisse de financement, d’agriculture ou d’innovation, tous les intervenants ont souligné que les solutions ne sauraient être seulement nationales.
« Les économies émergentes du Maghreb et d’Afrique du Nord, en pleine mutation, ont peut-être un cran d’avance sur l’Europe dans la construction d’une économie de résilience », a observé Nicolas Imbert. De son côté, Thierry Blandinières a rappelé que la coalition à bâtir doit être mondiale, car les défis alimentaires et climatiques ne connaissent pas de frontières.
Enfin, le GPF a annoncé le lancement d’une plateforme numérique dédiée à l’économie circulaire, baptisée Circule Circule, destinée à connecter PME, start-ups et investisseurs francophones. Elle doit permettre d’échanger des actifs, mutualiser des ressources et créer des ponts économiques entre pays francophones.
Du discours à l’action
Ce deuxième panel du Forum du GPF a confirmé ce que beaucoup pressentaient : l’économie circulaire et les technologies vertes ne sont plus une option. Elles constituent une condition de survie économique, écologique et sociale.
Les panélistes, chacun à leur manière, ont montré que les solutions existent déjà — dans la finance, dans l’agriculture, dans l’industrie et dans les territoires. Mais leur réussite dépend de la capacité à sortir du cloisonnement et à construire des écosystèmes cohérents.
Comme l’a résumé Jacques Bouvy, « sur une planète finie, vouloir croître seul à l’infini n’a aucun sens ». La francophonie a désormais l’opportunité d’incarner cette vision alternative, où innovation et durabilité marchent de concert.