Interview de la Dr Stéphanie Lopez de l’Université Côte d’Azur.
Propos receuillis par Pascale Caron
Entre 2018 et aujourd’hui, j’ai piloté un projet d’IA en santé, LungScreenAI au sein d’Université Côte d’Azur, en partenariat avec le CHU. Ce projet utilise l’IA pour évaluer la malignité des nodules pulmonaires. Mon rôle était de développer un outil d’IA pour les radiologues. Cela inclus notamment de structurer les données, de recruter et gérer une équipe et de collaborer avec les professionnels de santé, sur l’intégration de ces outils dans leur pratique clinique.
Après un 1er financement de l’Initiative d’Excellence (IdEx) d’Université Côte d’Azur en 2018, nous avons participé à l’appel à projets EXPLORE, d’AstraZeneca en 2019. Un budget de 200 000 euros nous a alors été accordé pour constituer une équipe pluridisciplinaire et rendre une preuve de concept en IA directement utilisable par les professionnels de santé.
Après six ans, ce projet est intégré dans une étude clinique portée par le CHU de Nice, mais faute de fonds nécessaires pour passer à l’étape supérieure il est pour l’instant à l’arrêt.
Qu’est-ce qui vous a poussée à inclure l’IA dans votre secteur et quels changements cela a-t-il apportés ?
Dans le domaine de la santé, l’accès aux données fiables et la rapidité des diagnostics sont cruciaux. L’IA offre une capacité unique à analyser instantanément de grandes bases de données et à prédire la malignité des nodules pulmonaires, permettant ainsi une prise en charge plus précoce.
Avec LungScreenAI, nous avons réussi à réduire le nombre de faux positifs et à identifier des cas potentiels jusqu’à deux ans avant leur diagnostic clinique. Cette technologie ne remplace pas les radiologues, mais les complète en leur proposant une seconde lecture et un soutien prédictif.
Quelles solutions d’IA avez-vous adoptées ?
Nous avons utilisé des modèles d’apprentissage profond, basés sur des réseaux convolutifs, pour analyser les images thoraciques. En nous appuyant sur des bases de données publiques comme NLST, nous avons entraîné l’algorithme avec des données couplées à des preuves histologiques.
Nous avons également collaboré avec les radiologues pour annoter les images, ce qui a permis d’améliorer la précision des prédictions. Cette coopération était cruciale pour ajuster les modèles à la réalité clinique et s’assurer que l’outil soit intuitif pour les praticiens.
Comment avez-vous surmonté les défis humains et culturels lors de l’intégration de l’IA ?
L’adoption de l’IA peut susciter des réticences, en particulier dans des milieux aussi sensibles que la santé. Il a été essentiel de démystifier l’IA en insistant sur sa transparence et son rôle d’assistant, non de remplacement.
Nous avons organisé des ateliers réguliers avec les médecins du CHU pour comprendre leurs besoins et leur montrer concrètement comment l’IA pouvait améliorer leurs taches habituelles. Ces sessions ont permis de créer une relation de confiance et d’intégrer leurs retours pour perfectionner l’outil. L’interaction avec les radiologues a été particulièrement enrichissante : en travaillant au quotidien à leurs côtés, j’ai pu m’immerger dans leurs pratiques, ce qui a été crucial pour adapter notre solution à leurs besoins réels.
Quels obstacles techniques avez-vous rencontrés ?
L’accès aux données de santé pseudonymisées a été un véritable défi. Nous avons collaboré avec la DPO du CHU pour respecter les normes réglementaires, ce qui a prolongé de trois ans certaines étapes.
Le processus de pseudonymisation, bien qu’indispensable pour garantir la confidentialité des patients, a été une tâche considérable pour aligner les exigences juridiques et techniques. Par ailleurs, le développement d’un algorithme robuste et généralisable a demandé une optimisation constante des modèles pour réduire les faux positifs tout en maintenant une sensibilité élevée.
L’écosystème technique du CHU, notamment les interconnexions entre plateformes de données, a également été un obstacle que nous avons surmonté grâce à une collaboration étroite avec les services informatiques du CHU de Nice.
Pourquoi ne pas breveter vos solutions ?
Dans le domaine de l’IA, breveter est souvent complexe, car les outils reposent la plupart du temps sur des technologies préexistantes, ce qui limite la nouveauté brevetable. De plus avec les avancées technologiques, les brevets deviennent rapidement obsolètes.
Nous avons préféré protéger nos développements via l’Agence de Protection des Programmes (APP), ce qui permet d’enregistrer une antériorité tout en restant flexible. Cette approche est plus adaptée à un environnement en constante évolution comme l’IA.
Quels changements positifs avez-vous observés dans votre équipe ?
L’intégration de l’IA a renforcé la cohésion entre les différents acteurs du projet. Les échanges entre data scientists, médecins, et régulateurs ont créé une dynamique de collaboration riche et innovante.
Les radiologues, par exemple, se sentent davantage équipés pour prendre des décisions et considèrent l’IA comme un outil valorisant leur expertise. Cette synergie a permis à chacun de mieux comprendre les contraintes de chaque métier, favorisant ainsi l’émergence de solutions plus robustes et adaptées.
Quel conseil donneriez-vous aux PME hésitantes à embrasser l’IA ?
L’IA peut sembler complexe et coûteuse, mais elle représente une opportunité immense pour transformer les processus. Commencez petit : identifiez un cas d’usage clair, travaillez avec des experts pour développer un prototype, et impliquez activement vos équipes pour garantir une adoption progressive.
Enfin, si vous êtes dans le domaine de la santé soyez prêts à surmonter les obstacles réglementaires, en gardant en tête que ces contraintes sont aussi un gage de qualité. L’IA n’est pas une solution magique, mais elle peut transformer des processus complexes si elle est bien implémentée.