L’événement « Le Plongeoir » a offert un panorama très large de l’écosystème French Tech et des ambitions portées au niveau national. Dès l’ouverture, Élodie Bondi et Lucie Finet ont rappelé l’ampleur du mouvement : 18 000 startups, 450 000 emplois, un réseau d’initiatives structurant les territoires, et une volonté claire de renforcer l’impact économique de l’innovation française.

Parmi les dispositifs mis en avant, le programme « Je choisis la French Tech » occupe une place stratégique. Il encourage les entreprises et les organisations publiques à privilégier les solutions développées par les startups françaises. Il s’agit de stimuler la demande intérieure tout en soutenant les acteurs émergents dans leur montée en maturité.
Mais l’ambition institutionnelle ne suffit pas. Elle doit s’appuyer sur une dynamique humaine capable d’affronter les cycles, de transformer les échecs et de maintenir une exigence constante. C’est dans ce contexte que l’intervention d’Alain Bernard, champion olympique devenu acteur de l’innovation sportive, s’inscrit comme un moment fort de l’événement.

Les fondamentaux de l’excellence : alignement, propulsion, respiration

Alain Bernard ouvre son intervention par un retour aux bases. La natation repose sur trois fondamentaux : alignement, propulsion, respiration. Tout l’enjeu consiste à améliorer ces gestes simples pendant des années, à les répéter, les visualiser, les mentaliser.
Cette répétition a un objectif : s’approcher d’un geste idéal tout en sachant que la perfection n’existe pas. Les records sont éphémères. Ils tombent, parfois le jour même, parfois dix ans plus tard.
Cette conscience forge une posture mentalement stable : viser l’excellence, tout en acceptant que rien n’est immuable.

Dans un écosystème technologique où les cycles d’innovation s’accélèrent, la leçon est directe. Comment maintenir une ambition haute sans s’illusionner sur la permanence de ce que l’on construit ? L’innovation nécessite cette tension constructive.

Transformer une charge de travail massive en levier d’épanouissement

À l’adolescence, lorsque ses amis sortaient le soir, Alain Bernard répétait : « Je peux pas, j’ai piscine ». Non par contrainte, mais par choix.
La nuance est décisive. Le haut niveau implique un volume d’effort colossal — deux entraînements par jour, musculation, kiné, ostéopathie, hygiène de vie stricte. Mais cet effort n’a de sens que lorsqu’il est aligné avec une intention personnelle.

Il évoque les jeunes athlètes poussés par leurs parents, qui, à 15 ou 16 ans, s’effondrent mentalement parce que le projet n’était pas le leur.
Le parallèle entrepreneurial est immédiat : quelle est l’origine réelle de notre engagement ?
Sans alignement intérieur, aucune exigence durable n’est possible.

Le champion rappelle aussi que le haut niveau n’est pas une activité fractionnée.
« On n’est pas sportif de haut niveau deux fois par jour, on l’est 24 heures sur 24. »
Dans une startup, la logique est similaire : l’effort n’est pas ponctuel. Il s’inscrit dans une continuité qui dépasse les tâches visibles.

La rigueur comme levier d’émancipation

Alain Bernard insiste : la rigueur n’est pas une contrainte. Elle devient un levier d’émancipation.
Rien dans ses débuts ne le prédestinait à devenir champion olympique. Ses progrès ont été graduels, portés par une discipline quotidienne et une répétition obstinée des fondamentaux.
La rigueur donne de la structure. Elle réduit l’incertitude. Elle offre un cadre dans lequel il devient possible de s’exprimer pleinement.

Cette conception intéresse directement les entrepreneurs. Dans un environnement saturé d’informations, comment utiliser la rigueur pour trier, prioriser, décider ?

L’échec des 17 centièmes : un pivot fondateur

Le récit de sa tentative manquée des Jeux d’Athènes constitue le cœur émotionnel de son intervention.
À 20 ans, après une année entière consacrée à cet objectif, il manque la qualification pour 17 centièmes de seconde.
L’échec est brutal.
Pourtant, en l’analysant, il identifie un point d’appui : malgré une toxoplasmose et une mononucléose, il termine 7e.
S’il avait nagé en pleine forme, il aurait eu toutes les chances d’intégrer l’équipe de France.

Cette lecture transforme l’échec en ressource.
Quatre ans plus tard, il devient champion olympique pour 11 centièmes.
La même unité de mesure qui l’avait sanctionné devient celle qui le consacre.

Ce symbole ouvre une question clé pour les entrepreneurs :
comment transformer un signal faible négatif en levier stratégique ?

La puissance de la simplification : « Tu plonges, tu nages, tu gagnes »

Peu avant une course décisive, son entraîneur lui dit :
« Tu plonges, tu nages, tu gagnes. »
Une phrase simple, presque primaire, mais qui concentre l’essentiel : réduire le bruit mental, séquencer l’action, rester dans l’instant.

Dans un monde où les projets se complexifient, cette stratégie interroge : quelles phrases clés pouvons-nous utiliser pour ramener un collectif à l’essentiel ?

Investir sur l’engagement, pas sur le talent brut

Adolescent, Alain Bernard observe des nageurs doués techniquement, physiquement brillants, mais irréguliers.
Pourquoi son entraîneur les épargne-t-il lorsqu’ils manquent un entraînement ? Pourquoi, à l’inverse, se montre-t-il plus exigeant avec lui et d’autres nageurs moins talentueux ?

La réponse apparaît avec le temps : l’entraîneur investit son énergie dans celles et ceux qui s’engagent, pas dans ceux qui brillent ponctuellement.
L’innovation suit la même logique. L’endurance, la régularité, la capacité à traverser les creux comptent davantage qu’un talent isolé.

Reconversion : transmettre, analyser, innover

À 29 ans, Alain Bernard met un terme à sa carrière. Plusieurs voies s’offrent à lui : gendarmerie, entraînement, engagement public.
Finalement, il choisit la transmission, le partage d’expérience, et s’implique dans l’innovation sportive.

Il devient notamment apporteur d’affaires pour Vivo Sport, acteur de la performance sportive.
Il développe également une expertise dans l’analyse vidéo, domaine devenu stratégique dans l’optimisation du geste.

Deux startups illustrent cette dynamique : Vogo Scope et Pool-On

Vogo Scope propose un système d’analyse vidéo complet, combinant caméras hors d’eau et subaquatiques. Les entraîneurs peuvent suivre en temps réel la propulsion, l’alignement, la fréquence, les trajectoires, grâce à des replays instantanés et des ralentis. Cette granularité permet de corriger des détails invisibles autrement.
Certaines infrastructures explorent déjà des pistes d’optimisation opérationnelle : ajuster la gestion de l’eau — notamment la désinfection — en fonction du taux d’occupation du bassin, une évolution technologique possible à moyen terme.

Pool-On, jeune startup créée par d’anciens nageurs, propose une innovation immersive : un vidéo-projecteur subaquatique transformant le fond du bassin en écran. Apprentissage, rééducation, sport-santé, divertissement : les usages sont multiples. Le dispositif, plug-and-play et non invasif, modernise immédiatement les piscines existantes.
Ces innovations montrent comment la sportech française associe technologie, pédagogie et expérience utilisateur.

La présence de telles startups au sein de l’écosystème illustre concrètement l’esprit du programme « Je choisis la French Tech » : soutenir l’innovation locale pour renforcer la compétitivité nationale.

Management, confrontation constructive et durée

La relation de quinze ans entre le nageur et son entraîneur repose sur une communication directe, parfois rude, mais toujours sincère.
Un jour, après une discussion sur les volumes d’entraînement, l’entraîneur lui dit :
« Si tu n’es pas content, tu vas t’entraîner ailleurs. »
Une phrase rare, qui témoigne d’une conviction profonde et d’une pensée long terme.

Cette capacité à affirmer un cadre tout en restant à l’écoute interroge le management moderne :
comment confronter sans briser, comment challenger sans démobiliser ?
Ces questions traversent aussi les organisations technologiques, où la croissance exige des arbitrages difficiles.

Une ambition à la fois collective et personnelle

L’événement « Le Plongeoir » met en lumière deux niveaux d’ambition.

D’abord l’ambition collective, incarnée par la French Tech : structurer un écosystème de 18 000 startups, soutenir l’emploi, encourager l’achat local via « Je choisis la French Tech », développer des solutions souveraines.

Ensuite l’ambition individuelle, incarnée par des parcours comme celui d’Alain Bernard : rigueur, résilience, engagement, apprentissage continu.

La question centrale qui émerge, au croisement de ces deux dynamiques, est simple et décisive :
comment articuler l’exigence personnelle et la structuration collective pour transformer l’innovation française en puissance durable ?