La promesse était immense : celle d’une intelligence artificielle autonome, proactive, capable d’agir de manière contextualisée et de transformer en profondeur les organisations. Deux ans plus tard, l’enthousiasme se heurte à une réalité plus crue. Le 25 juin 2025, le cabinet Gartner publie une prévision sans détour. Plus de 40 % des projets d’IA Agentique seront abandonnés d’ici fin 2027, en raison d’un coût de mise en œuvre élevé et d’une valeur métier difficilement mesurable. Un signal fort pour les entreprises, trop souvent tentées par l’effet d’annonce plutôt que par la transformation structurelle.
L’Agentique, entre hype et déception
L’IA Agentique — ces systèmes capables de prendre des décisions, d’agir et d’apprendre avec un degré d’autonomie croissant — s’est imposée comme la nouvelle frontière de l’IA générative. Depuis fin 2023, les laboratoires et les startups rivalisent de prototypes et de démonstrateurs : agents conversationnels multitâches, assistants juridiques, copilotes métiers ou encore agents de développement logiciel.
Mais selon Gartner, cette effervescence masque un déséquilibre profond. La majorité des projets lancés depuis 18 mois ne dépassent pas le stade expérimental, et très peu parviennent à démontrer une performance répétable en production. Pis : seuls 130 fournisseurs dans le monde proposent aujourd’hui des solutions réellement argentiques selon les critères d’autonomie, de mémoire dynamique et d’apprentissage incrémental. Le reste relève davantage de ce que les analystes appellent le « agent washing » — une forme de rebranding abusif d’outils classiques.
Trois failles structurelles sous-estimées
Une valeur métier floue
Dans de nombreux cas, les agents promettent d’automatiser des tâches complexes — mais sans démontrer une réelle pertinence économique. Des directions métiers évoquent des pilotes coûteux, mal intégrés aux systèmes existants, et dont l’impact reste marginal. L’alignement entre le niveau d’autonomie de l’agent et les objectifs métier est souvent insuffisant, ce qui conduit à des désillusions stratégiques.
Une dette technique exponentielle
L’implémentation d’agents suppose une infrastructure adaptée : connecteurs sécurisés, orchestration des workflows, supervision algorithmique, gouvernance des données. Or, bon nombre de projets sous-estiment l’effort d’intégration et le coût de montée en charge. Résultat : les agents peinent à sortir des laboratoires, ou bien dégradent la performance globale des systèmes en place.
Des limites technologiques persistantes
Enfin, sur le plan algorithmique, les agents restent vulnérables : hallucinations, erreurs de contexte, difficulté à adapter les comportements à des situations nouvelles ou ambigües. Les modèles LLM, sur lesquels reposent ces agents, peinent à s’adapter à des objectifs long terme ou à des boucles de rétroaction efficaces. L’intelligence reste localisée et opportuniste — loin d’une autonomie cognitive généralisée.
Un marché encore immature, mais en structuration rapide
Malgré cette alerte, Gartner n’écarte pas le potentiel transformateur des agents. Le cabinet prédit qu’à l’horizon 2028, près de 15 % des décisions quotidiennes des entreprises seront prises ou suggérées par des agents IA, contre 0 % en 2024. Par ailleurs, un tiers des applications métiers pourraient intégrer une dimension Agentique.
Cette projection suppose cependant un recentrage stratégique : moins de promesses, plus de rigueur. Gartner recommande de repérer les cas d’usage à fort impact et à complexité modérée, d’éviter les effets d’annonce autour de solutions encore expérimentales, et de soutenir les équipes IT et métiers dans la montée en compétence. L’agent devient un outil stratégique, mais ne s’improvise pas.
Réintégrer l’humain dans la boucle décisionnelle
Un enseignement fort se dégage : l’IA Agentique n’élimine pas le facteur humain — elle le reconfigure. Les agents doivent s’inscrire dans des chaînes de valeur humaines supervisées, où leur apport est compris, contextualisé, validé. Trop de projets ont échoué faute d’une gouvernance claire, d’une évaluation éthique préalable ou d’une adhésion suffisante des utilisateurs.
Les entreprises les plus avancées expérimentent aujourd’hui des architectures multi-agents collaboratives, associant des agents spécialisés à des comités de validation humains. L’enjeu n’est plus simplement de confier des tâches à des machines, mais de redéfinir les interactions dans un système hybride et co-évolutif.
Vers une maturité sélective
À court terme, les projets d’IA Agentique vont se concentrer dans quelques verticales à fort potentiel : cybersécurité, assistance juridique, automatisation des flux financiers, gestion documentaire, développement logiciel et supply chain. Les entreprises qui parviennent à extraire de la valeur de ces agents partagent plusieurs traits communs : un pilotage rigoureux, une infrastructure robuste, une connaissance fine des processus, et une stratégie d’innovation incrémentale.
Le mot d’ordre est clair : tester, mesurer, apprendre, ajuster. L’époque des « moonshots » technologiques, sans feuille de route solide touche à sa fin. L’IA Agentique n’est pas une magie. C’est un outil, puissant, mais exigeant.
Questions ouvertes pour les décideurs IA
- Quels sont les cas d’usage réellement porteurs de valeur dans votre organisation ?
- Disposez-vous d’un cadre de gouvernance éthique et opérationnelle pour encadrer l’autonomie des agents ?
- Votre infrastructure actuelle permet-elle l’orchestration fluide d’agents intelligents interconnectés ?
- Comment préparez-vous les collaborateurs à collaborer avec des entités semi-autonomes ?
Gartner ne remet pas en cause la dynamique de l’IA Agentique. Il en propose une lecture lucide et salutaire. Loin d’un renoncement, cette prédiction invite à réévaluer nos ambitions, à redimensionner nos projets, et à construire pas à pas une autonomie artificielle réellement utile. L’agent ne remplacera pas l’humain — il exige que l’humain reste stratège.
Source:https://www.gartner.com/en/newsroom/press-releases/2025-06-25-gartner-predicts-over-40-percent-of-agentic-ai-projects-will-be-canceled-by-end-of-2027