Dans la chaîne logistique, l’urgence est souvent un mot galvaudé. Mais pour Axel Bandiaky, elle est un fait, quotidien, répété, structurant. Fondateur de Stracker, il développe une entreprise innovante qui combine gestion du transport à forte valeur, intelligence artificielle intégrée, et modèle économique transparent. Une équation rare, conçue pour réconcilier rationalité logistique et exigence opérationnelle.

L’histoire commence chez Air France, où Axel effectue un stage marquant dans une filiale spécialisée dans le fret. Pas n’importe lequel : le fret intégré aux vols passagers, destiné aux pièces critiques pour la maintenance aéronautique. « On acheminait des composants à haute valeur ajoutée, souvent en urgence, avec des contraintes horaires extrêmes. Le problème, c’est que la traçabilité était inexistante. »

Cette faille devient un déclencheur. En 2017, il fonde Stracker avec une vision précise : créer une solution de tracking temps réel adaptée aux flux urgents. Grâce à des capteurs IoT embarqués et une application web propriétaire, les clients peuvent visualiser leurs envois comme on suit un Uber. L’interface affiche l’itinéraire, les points de rupture, les statuts douaniers, les incidents. Une première dans ce domaine.

Mais le lancement commercial en février 2020 coïncide avec le chaos pandémique. Le secteur du transport explose, mais la logique change. « Les clients payaient pour que ça arrive, pas pour savoir où c’était. La traçabilité seule ne suffisait plus. » C’est le moment du pivot. Stracker se transforme en commissionnaire de transport. La startup cesse d’être un outil d’accompagnement. Elle devient opérateur, gestionnaire complet du transport.

Concrètement, Stracker assemble les prestataires nécessaires à une expédition : transporteurs routiers, déclarants en douane, agents de soute, manutentionnaires, livreurs. Elle construit les plans de transport, coordonne les acteurs et surveille leur exécution. Mais à la différence des logisticiens classiques, elle refuse le modèle à commission. « Ce système crée une distorsion : plus le transport est cher, plus l’intermédiaire gagne. Nous, on voulait être dans le conseil objectif. »

La facturation repose donc sur deux options : un abonnement mensuel ou un forfait par dossier, indépendant du coût final du transport. Cette transparence crée une dynamique de confiance, particulièrement dans les univers sensibles à la tarification, comme l’aéronautique ou le luxe.

C’est dans ce cadre qu’intervient l’intelligence artificielle. Stracker développe un système propriétaire reposant sur des « blocs » de transport. Chaque acheminement est découpé en segments — pickup, douane, vol, livraison — avec des alternatives historiques analysées. L’IA peut alors composer une combinaison optimale en fonction du contexte : coût, performance passée, fiabilité du prestataire, aléas météo, disponibilité d’espace en soute.

« Notre IA est capable de proposer un plan complet, avec un budget par prestataire, une simulation du temps, et même une pré-rédaction des emails d’instruction. Mais elle ne valide jamais seule. L’engagement financier reste humain. » Chaque opération est supervisée par un logisticien. L’IA suggère, l’humain décide.

Côté client, l’automatisation progresse aussi. Stracker a mis au point une IA qui traite directement les demandes entrantes, même informelles. « On reçoit souvent des mails comme : “Il faut envoyer dix looks pour le gala de demain soir.” L’IA comprend qu’il s’agit de vêtements volumineux, elle calcule le poids estimé, le volume, le temps de préparation, et propose un plan logistique chiffré. »

Ce traitement permet une réactivité décisive, notamment dans le secteur du luxe. Peu de maisons disposent d’un service logistique structuré. Ce sont souvent les départements presse, événementiels, ou même les stagiaires qui gèrent les transports. Stracker les assiste avec une IA conçue comme un assistant opérationnel, capable d’interpréter la sémantique métier et de la traduire en paramètres logistiques.

La promesse est claire : « Aucun coût majoré à cause de l’urgence. Nos grilles tarifaires sont fixes. Ce n’est pas parce qu’un événement survient demain que le prix doit doubler. » Cette posture attire les grandes maisons de couture, qui apprécient la cohérence budgétaire dans des environnements sous pression.

Dans l’aéronautique, Stracker accompagne les compagnies dans leur maintenance quotidienne. « Un avion, c’est 4 millions de pièces. Chaque jour, plusieurs pièces doivent être remplacées. Nos clients nous sollicitent pour acheminer des composants critiques entre les fournisseurs et les centres de maintenance. » Là encore, la maîtrise des délais est vitale. Un avion immobilisé coûte cher.

Stracker est aujourd’hui équilibrée entre ces deux verticales : luxe et aéronautique. L’équipe compte 16 personnes. Le chiffre d’affaires est passé de 400 000 à 3 millions d’euros en trois ans. Prochaine étape : le build-up. L’entreprise prépare l’acquisition d’un acteur concurrent pour y déployer ses technologies. L’objectif n’est pas de centraliser, mais de créer un réseau distribué, interconnecté, partageant une même colonne vertébrale technologique.

Parmi les innovations en cours, un module de conversion de contexte non structuré est déjà fonctionnel. Il transforme des emails, échanges WhatsApp ou verbatim clients en données exploitables par le moteur IA. Cela permet à l’entreprise de digérer rapidement un volume important d’interactions sans surcharge humaine.

Stracker adresse déjà d’autres segments : robotique (Wandercraft, Rive), transport de prototypes, matériel contenant des batteries, événementiel, pharma, automotive. Le lien : des flux sensibles, complexes, non répétitifs, avec des besoins de flexibilité extrême.

Dans ce secteur historiquement sous-digitalisé, Stracker marque sa différence. « Beaucoup de logisticiens n’ont pas investi pendant la Covid. Ils ont profité de la crise sans innover. Aujourd’hui, ils sont incapables d’intégrer l’IA, parfois même des outils digitaux simples. »

Axel voit là une opportunité stratégique : racheter ou accompagner ces structures en difficulté, sans les bouleverser. « L’idée, ce n’est pas de remplacer les humains. C’est de leur redonner du temps. L’IA s’occupe des actions chronophages. L’humain se concentre sur la relation client. »

Le modèle repose sur une hybridation des outils : interface web, téléphone, mails. Pas de rupture brutale. Juste une orchestration fluide, augmentée. Ce n’est pas un changement de culture. C’est une montée en compétence collective.

L’ambition est claire : faire de la logistique critique un secteur technologique, structuré, transparent. Transformer les urgences en opération maîtrisées. Rétablir une relation client apaisée, où la confiance remplace la suspicion. Et prouver, à travers les chiffres, que l’IA, bien intégrée, est un levier concret de compétitivité.