Diplômée de CentraleSupélec en intelligence artificielle et de l’ESCP Business School en stratégie et conseil, Victoire Bach incarne l’innovation au service de la santé. En 2020, elle cofonde HOPIA avec Matthias Lesage : leur ambition est d’optimiser la gestion des ressources hospitalières grâce à l’IA. Les solutions développées par HOPIA ont déjà amélioré la prise en charge des patients.
Leur levée de fonds récente, de 3,5 millions d’euros, a été réalisée avec le soutien de Kurma Partners, spécialisé dans la santé, et d’Iris Capital, axé sur la deep tech.
Lorsqu’on interroge Victoire sur HOPIA, elle débute par un exemple illustrant les difficultés actuelles rencontrées par les patients.
« Ce matin, je suis allée voir mon médecin pour des symptômes inhabituels. Une exploration plus approfondie était nécessaire, possiblement en urgence. Il m’a prescrit une série d’examens pour affiner ou confirmer un diagnostic. En sortant, je me suis retrouvée face à un problème : où commencer ? Dois-je chercher un rendez-vous sur une plateforme en ligne ?
Heureusement, un hôpital voisin dispose d’une personne dont le rôle est d’aider les patients à organiser leurs rendez-vous dans les meilleurs délais, en particulier pour les cas urgents. Mais ce travail repose sur une méthode manuelle : cette personne appelle chaque service, un par un, pour vérifier les disponibilités. Premier défi, les contraintes des examens : mon test d’effort doit être programmé après ma prise de sang, mais avant un rendez-vous avec un spécialiste.
Ensuite, il arrive que les informations si elles ont à jour, soient consignées sur des feuilles de papier ou des fichiers Excel. Ces supports représentent encore, dans bien des cas, les outils principaux pour gérer les plannings des professionnels de santé.
Bien sûr, certains praticiens utilisent des solutions comme Doctolib. Cependant, ces outils ne génèrent pas les plannings initiaux. Ils interviennent seulement une fois que les créneaux ont été déterminés manuellement. Dans les hôpitaux, par exemple, les plannings des anesthésistes doivent intégrer de multiples contraintes : le fonctionnement des blocs opératoires, les gardes, et les consultations. Une fois définis, ces créneaux peuvent être ouverts sur des plateformes comme Doctolib.
Cependant, tous les médecins ne sont pas inscrits sur ces plateformes. De plus, la gestion des plannings hospitaliers reste majoritairement manuelle, avec des outils rudimentaires. Or, c’est un levier stratégique essentiel pour assurer l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle des soignants, garantir une prise en charge efficace des patients et optimiser les ressources de l’établissement.
Cette tâche est d’une grande complexité. Ils doivent respecter des contraintes légales, telles que les durées maximales de travail et les temps de repos. Ils doivent aussi prendre en compte des facteurs collectifs, comme la continuité des soins, la pénibilité de certains postes (par exemple, ne pas passer toute la journée en accueil des urgences), ou encore des règles d’équité entre collègues. À cela s’ajoutent des spécificités individuelles : compétences, restrictions médicales, et souhaits personnels. Les responsables de planning, qu’ils soient chefs de service ou cadres de santé, consacrent parfois jusqu’à 90 % de leur temps à cette tâche, souvent source d’erreurs et d’insatisfactions. »
La solution Hopia
Face à ces difficultés, peu de logiciels offrent une solution capable de prendre en compte toutes ces contraintes. C’est dans ce contexte qu’intervient HOPIA, en proposant une technologie basée sur l’intelligence artificielle symbolique.
Contrairement aux modèles d’apprentissage automatique, cette approche s’appuie sur des règles explicites, garantissant une équité et une transparence dans les décisions. Cela permet de réduire les biais systémiques qui peuvent se glisser dans des plannings manuels ou générés à partir de données historiques.
HOPIA se positionne ainsi comme un copilote pour les gestionnaires de planning, en tirant le meilleur parti de leur travail sans les remplacer. La technologie centralise les données et fournit des réponses équitables, tout en restant flexible face aux spécificités des établissements et des personnels de santé.
HOPIA intègre toutes les contraintes individuelles et collectives. Cela inclut les règles légales, les équilibres entre vie privée et professionnelle, ainsi que les besoins des patients. Victoire souligne que ces plannings deviennent plus précis et efficients grâce à Hopia.
Victoire reconnaît que certains aspects, comme la prédiction des flux de patients, restent des défis. Malgré des modèles précis en théorie, la pratique montre que les données disponibles et les contraintes organisationnelles limitent leur pertinence. Pour l’instant, HOPIA concentre ses efforts sur l’amélioration de son cœur de métier.
Victoire prévoit cependant d’intégrer des technologies d’apprentissage dans des domaines tels que la gestion des compétences et les plans de formation. L’objectif est de mieux identifier les besoins des professionnels de santé et d’anticiper les évolutions à long terme des compétences. Avec une équipe de 19 personnes, HOPIA programme de doubler ses effectifs en 2025.
L’intelligence artificielle générative chez HOPIA
« Nous explorons différentes façons d’intégrer l’intelligence artificielle dans nos processus internes. Par exemple, nous utilisons ChatGPT, notamment dans sa version payante, pour plusieurs tâches rédactionnelles : publications LinkedIn, communiqués de presse, réponses aux clients, dossiers de financement et appels d’offres. J’accompagne également l’équipe pour maximiser l’efficacité de ces outils.
Sur le plan opérationnel, l’IA joue un rôle essentiel dans le retraitement des bases de données. Les informations brutes reçues des clients sont souvent désorganisées. Nous les reformations pour les adapter à nos besoins grâce à ces technologies. Cela réduit le temps nécessaire pour analyser et structurer ces données.
Nous travaillons également sur la personnalisation des modèles comme les DLLM (Domain-Specific Language Models). L’objectif est que l’IA puisse générer automatiquement des paramétrages complets à partir de comptes rendus clients. Ensuite, nos équipes valident ces paramétrages, ce qui est beaucoup plus rapide que de tout créer manuellement. Cela nous permet de libérer nos ingénieurs des tâches répétitives pour qu’ils se concentrent sur la vérification et les ajustements stratégiques, ajoutant ainsi une vraie valeur contextuelle et humaine.
Cependant, l’IA présente des limites. L’un des principaux défis reste l’explicabilité des modèles, en particulier pour les grands modèles de langage (LLM). Ils sont souvent perçus comme des boîtes noires, ce qui peut poser un problème lorsqu’il s’agit de justifier leurs décisions. J’estime essentiel de maintenir un esprit critique et de ne pas devenir passif face à l’IA. Nous devons continuellement vérifier et affiner les résultats pour éviter les biais ou les erreurs.
En termes de collaboration, nous partageons régulièrement nos expériences avec l’IA générative, que ce soit au sein d’un pôle ou à travers l’organisation. On échange les prompts efficaces et nos retours sur les bonnes pratiques. C’est particulièrement utile pour les membres de l’équipe moins familiers avec ces technologies, qui découvrent ainsi comment ils peuvent simplifier leur travail.
Enfin, l’IA nous a permis de gagner un temps considérable dans des tâches lourdes. Par exemple, la rédaction d’un appel d’offres public, qui prenait traditionnellement deux semaines, peut être réduite à une journée ou deux. Bien que la relecture et l’adaptation humaine restent nécessaires, cela représente un gain de productivité significatif.
Nous déployons aussi des outils comme GitHub Copilot pour nos développeurs, ce qui améliore leur efficacité. En résumé, l’intégration de l’IA dans nos processus est devenue un pilier essentiel pour accompagner notre croissance. Cela demande toutefois une vigilance constante pour garantir une utilisation responsable et performante. »
Conduite du changement et adoption de Hopia par les clients.
Un autre défi majeur identifié par Victoire est l’adoption de Hopia par les utilisateurs finaux. Beaucoup craignent que l’IA ne remplace leur expertise. HOPIA met l’accent sur la formation et la sensibilisation, en expliquant que leur solution agit comme un copilote.
Victoire souligne que cette réticence n’est pas propre à l’IA, mais concerne toutes les innovations numériques. Elle partage l’importance d’accompagner les usagers pour qu’ils comprennent les avantages, tout en respectant leur besoin d’autonomie et leur savoir-faire.
Conseils aux entrepreneurs
Interrogée sur ses conseils aux entreprises hésitantes à adopter l’IA, elle encourage les entrepreneurs à essayer ces technologies en évaluant concrètement leur impact. Elle insiste sur l’importance de démarrer avec des tests limités, tout en gardant à l’esprit que l’IA ne résoudra pas tous les problèmes. Pour elle, l’IA est une opportunité d’améliorer les pratiques existantes, mais son utilisation doit être pertinente et alignée avec les besoins réels.