Quand on parle d’Intelligence Artificielle, on n’imagine pas qu’elle touche les métiers ancestraux du BTP et la rénovation dans des lieux emblématiques. Les Ateliers de France depuis les années 2000, regroupent des maisons d’artisanat spécialisées dans la restauration du patrimoine et l’artisanat haut de gamme. Avec plus de 2 000 artisans qualifiés, ils interviennent sur des projets prestigieux tels que Notre-Dame de Paris, le Château de Versailles ou l’Opéra Garnier. Ils sont reconnus pour préserver les savoir-faire traditionnels tout en répondant aux besoins modernes. En 2023, les fondateurs et les managers ont investi dans l’entreprise, renforçant leur implication dans sa gouvernance. Les Ateliers de France valorisent l’excellence artisanale française à l’international.

Voici une interview avec Sébastien Cossin qui nous explique comment l’Intelligence Articifielle s’est imposée et fait partie intégrante des process de cette entreprise. Je vous livre notre échange passionnant.

 

Pouvez-vous nous présenter votre groupe ?

Notre mission est de protéger le patrimoine architectural français et promouvoir ce savoir-faire à travers des projets d’exception à l’international, un de notre adage est « ne pas transmettre c’est voler ». Parmi nos réalisations en France, nous avons eu l’honneur de travailler sur des monuments emblématiques comme Notre-Dame, le Grand Palais et le château de Versailles…

En parallèle, nous intervenons également pour une clientèle privée très haut de gamme dans des lieux prestigieux comme Monaco, Cap Ferrat, Paris, Londres, Dubaï et New York. Cette double activité — entre rénovation de monuments historiques et projets privés — repose sur un équilibre essentiel, car les deux domaines s’enrichissent mutuellement.

Par exemple, rénover un hôtel particulier, classé Monument Historique avec des techniques traditionnelles datant de plusieurs siècles demande un investissement conséquent et un savoir-faire artisanal exceptionnel. Les boiseries sculptées, les fenêtres fabriquées selon des méthodes ancestrales n’auront jamais le même coût ni les mêmes exigences que si elles étaient produites avec des outils modernes.

Le groupe se compose 55 PME réparties en pôles spécialisés, chacun couvrant des compétences spécifiques. Nos pôles, Tout Corps d’état, Clos couvert (taille de pierre, menuiserie et charpente), marbre et pierre, décoration (peinture, dorure… restauration d’œuvres d’art,), bois et métal, que j’anime. Chacune de ces entités regroupe des experts dotés d’un savoir-faire unique, souvent manuel. Dans notre domaine, 80 % des artisans travaillent de leurs mains. Il est impensable de remplacer ces compétences par l’intelligence artificielle. Les moulures, sculptures ou travaux de forge nécessitent une précision et une sensibilité qui restent hors de portée des machines.

 

Quel aspect de votre secteur vous a poussé à intégrer l’IA, et comment cela a-t-il transformé vos opérations ?

L’IA joue un rôle stratégique pour nous, notamment dans la préparation et la transmission des savoirs. Elle permet d’optimiser la planification des projets et d’assurer une meilleure communication des techniques traditionnelles aux nouvelles générations. En ce sens, l’IA n’est pas un remplacement, mais un complément précieux qui contribue à l’efficacité et à la pérennité de nos métiers. Nous recrutons de nombreux jeunes (compagnons, apprentis) ou moins jeunes (reconversion professionnelle), pour sécuriser la transmission de notre savoir-faire artisanal. Ces nouvelles recrues, curieuses et inventives, ont introduit des outils et des pratiques liés à l’IA dans nos processus.

Nous intervenons souvent avec une vision partielle du projet global. Prenons un exemple précis : nous travaillons actuellement sur la rénovation d’une aile entière d’un château, un chantier colossal de plusieurs centaines de millions d’euros. Dans ce contexte, une petite société de 40 employés est responsable des rambardes de fenêtres en forge traditionnelle, avec des ornements (étoile, soleil doré) faits à la main. Cette opération s’inscrit dans un projet d’envergure où plus de 1000 personnes vont simultanément. La question est alors : comment une structure aussi modeste peut-elle s’intégrer efficacement dans un tel mastodonte organisationnel ?

La gestion administrative est lourde et complexe, nécessitant des équipes dédiées aux réunions et à la coordination. Pour une petite structure, impossible de mobiliser un salarié à temps plein pour mener à bien ce type de mission.

Chaque semaine, des rapports volumineux de 50 pages sont générés lors des visites de chantier. Grâce à l’IA, la comparaison est facile, nous ajustons nos actions en temps réel. Ce gain de réactivité de gagner en efficacité et de nous intégrer harmonieusement dans des projets de grande envergure, tout en maintenant notre activité artisanale.

L’IA n’est pas un remplacement pour nos compétences humaines, mais un outil stratégique qui nous aide à optimiser nos ressources, à nous acclimater à des environnements complexes et à rester fidèles à notre excellence artisanale.

 

Quelles solutions d’IA avez-vous sélectionnées ?

Une intelligence artificielle a été développée pour nos besoins. Notre philosophie repose sur une complémentarité : des artisans d’exception, véritablement manuels, et une équipe de jeunes diplômés brillants. Ces derniers collaborent avec leurs réseaux pour concevoir des outils d’IA adaptés à nos contraintes.

Ces programmes permettent d’optimiser le suivi de chantier. Par exemple, en comparant automatiquement deux rapports, l’IA identifie les écarts ou les anomalies. Si aucune différence n’est relevée entre les rapports d’une réunion et les précédents, nous économisons du temps. En revanche, si un point d’attention est signalé, nous sommes capables de réagir rapidement grâce à au rapport généré.

Une deuxième phase, en réflexion est de connecter l’IA au bureau d’études. L’idée est d’appliquer l’IA sur les plans, ainsi les éléments manquants ou non validés sont détectés dans un compte rendu. L’IA, analyse les indices et dois pouvoir retrouver le plan, voir où il est bloqué (validation manquante, etc.) et intègre ces informations au rapport. L’action est simplifiée, et notre réactivité est surprenante pour les partenaires.

Dans un contexte où le manque de compétences est criant et où nous peinons à recruter, l’IA nous aide. Un conducteur peut donc superviser plus de projets avec des conditions de travail améliorées. L’IA, loin de remplacer l’expertise humaine, agit comme un levier qui développe son efficacité.

 

Depuis quand avez-vous implémenté l’IA ?

Nous avons commencé avec ces outils d’IA il y a quelques années, sur l’analyse de comptes rendus. Maintenant nous l’enrichissons grâce aux nouvelles opportunités technologiques qui se présentent.

 

Quels ont vos futurs projets ?

 Notre objectif est de développer une application pour la transmission de nos savoir-faire, une de nos valeurs fondamentales. Pour les tâches courantes, le transfert de compétences se fait naturellement : un ancien coopère avec un apprenti ou une personne en reconversion. Ils travaillent ensemble, observent et reproduisent les gestes jusqu’à ce que ceux-ci deviennent fluides et précis. Les ajustements se font en fonction des différences physiques, mais le résultat final est toujours fidèle.

Cependant, pour les gestes spécifiques, le défi est plus grand. Certaines techniques peuvent disparaître, dans le cas de départ en retraite. Nous avons donc identifié ces savoir-faire à risque dans nos processus et commencé à les documenter.

Vidéos, photos, explication, procédures détaillées enrichissent une banque d’informations. Ainsi, même si l’expert n’est plus présent, nous pouvons reconstituer et transmettre son geste à travers des maquettes numériques. Cela garantit la pérennité de nos savoir-faire. C’est une aide précieuse pour la réalisation de pièces rares et peu fréquentes. Un tutoriel va aider le compagnon. Ce processus illustre parfaitement le mariage entre tradition et modernité. Nous combinons un artisanat d’exception avec les capacités de l’IA pour préserver et transmettre des savoir-faire rares, tout en nous adaptant à des exigences uniques. Ce grand écart entre le travail manuel et la technologie est à la fois fascinant et essentiel pour notre évolution.

 

Quels changements positifs avez-vous observés dans la dynamique de votre équipe grâce à l’IA ?

Les équipes perçoivent l’intégration de l’IA comme une véritable aide et non comme une menace. Une vraie dynamique s’opère entre les générations. Les jeunes sont particulièrement enthousiastes. Ils voient dans ce projet une opportunité d’enrichir leur apprentissage et se sentent valorisés en interne et en externe. Elle crée également un environnement de travail inspirant et dynamique, où chaque génération trouve sa place.

 

Quels conseils donner aux PME qui hésitent à intégrer l’IA dans leurs processus ?

D’abord, il est essentiel de ne pas s’égarer dans la complexité de l’IA. Il faut rester pragmatique et ciblé. Avant toute chose, identifiez clairement les tâches chronophages dans votre entreprise. Prenez le temps, d’analyser : quelles opérations sont les plus répétitives ou fastidieuses ? Une fois ces problèmes cernés, sollicitez des experts en IA pour trouver des solutions adaptées.

Il ne s’agit pas d’adopter une IA pour l’ensemble de vos projets, mais de commencer par un cas concret et maîtrisé.

Ensuite, préparez soigneusement le terrain. Fournissez aux experts IA des données claires et organisées. Ce travail initial est crucial pour obtenir des résultats pertinents. Un paramétrage mal fait ou imprécis fournira des réponses inutilisables, ce qui risque de décourager l’équipe.

Nous l’utilisons aussi pour ressusciter des projets abandonnés. Par ex un chantier laissé en suspens pendant trois ans, l’IA super pour rassembler les données (communication, rapport, plans…). L’IA produit un résumé à 80 % complet. On peut reprendre le projet rapidement sans repartir de zéro.

Enfin, il est crucial de débuter avec des cas très spécifiques et maîtrisés. Travaillez sur des projets où vous connaissez déjà la réponse attendue. Cela permet d’affiner les paramètres de l’IA et d’ajuster les résultats. Une fois ce processus rodé sur quelques exemples, il devient facile de le reproduire et de l’étendre à d’autres domaines.

En résumé, commencez petit, soyez précis et testez l’IA sur des dossiers concrets que vous connaissez. C’est ainsi que vous maximiserez vos chances de réussite tout en minimisant les risques de vous perdre ou de gaspiller du temps, une ressource précieuse pour les PME.